2.3.07

Orphie boucanée et colombo guimbo Partie 2


Le repas commença. On s'installa à table avec, dans le sens des aiguilles d'une montre, Flore de Sainte Rita, portant au cou un étrange collier en dents de jaguar, son fiancé, le commandeur, Boniface, arborant ostensivement sa légendaire chevalière de diamant à l’annulaire de la main gauche, à ses côtés la maîtresse des lieux Pépita Sandragon, suivie d' Orphélien Tito-Landi dit Tito, mais que d'aucuns en ville appelait le Cardinal avec sa barbe de chèvre, sa moustache de mouche et ses yeux jaunes de guêpe maçonne. Venaient ensuite Artémia Guimbo et sa demi-soeur Pilar de Morfil.
Les six convives, qui pour trois d'entre eux, avaient fêté la veille le carnaval, se mirent à la besogne.
Pendant une minute on n'entendit plus que le cliquetis des fourchettes et couteaux et les coups de mâchoires.
C'est alors que Tito se mit, comme à son habitude, à vouloir raconter une blague.
- C'est l'histoire d'une chauve-souris appelée renard volant. Pas une chauve-souris vampire, non. Une frugivore. Elle n'aime que fruits de sapotillier et pollen de fromager. Pourtant renard volant revient entièrement couvert de sang en zigzaguant à sa grotte et...
s'accroche la tête en bas pour se reposer un peu, car bien sûr ces bêtes-là n'ont pas comme certains ici leur petit fauteuil à bascule.
Il veut donc faire une petite sieste, Renard Volant.
Et il commence à ronfler dans la grotte...
RRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR
RRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR
Vous imaginez bien que les autres se réveillent : certaines à cause du bruit d'autres à cause de l'odeur du sang qui commence à monter.
Les autres chauves-souris la harcèlent pour savoir où elle en a trouvé. Même si elle ne sont pas vampires ça les chatouille quelque part. Leur passé immémorial de vampire remonte à la surface. Elles voient bien que ce n'est pas de la confiture de fraise mais du sang frais bien rouge.
Mais la pauvre chauve-souris n'a qu'une envie : se reposer, faire la sieste. Toutefois, devant l'insistance de ses congénères, la chauve-souris frugivore encore toute ensanglantée accepte de leur montrer l'endroit. Après quelques minutes d'un vol rapide et silencieux dans la nuit noire, le groupe de chauve-souris arrive enfin à l'orée d'une forêt. Elles y pénètrent et à l'entrée d'une clairière, la chauve-souris frugivore ensanglantée annonce :
- Voilà, nous y sommes ! Vous voyez cet arbre là-bas ?
- Ouais ! Ouais !
Répondent toutes les chauves-souris redevenues vampires affamées et avec déjà l'eau à la bouche.
L'une des chauves-souris, une flying fox, qui parlait donc anglais répond même :
- Yeah ! Yeah !
Et la chauve-souris maculée de sang de poursuivre :
- Et ben moi, je l'avais pas vu...
L'assistance partit dans un fou rire. Tous étaient aux éclats. Morts de rire.
- Sacré Tito... décidément tu ne vas pas nous laisser manger tranquille, eut même le temps de dire Pépita les yeux en larmes, les maxilaires en flamme et la mâchoire défoncée d'avoir tant ri.
C'est alors qu'au milieu des rires on entendit comme un râle venant d'outre-tombe. Le Commandeur tomba à la renverse de sa chaise en portant la main à la bouche.
Son heure était venue ! La fiancée du Commandeur se signa, retira son collier en dents de jaguar et commencer à crier comme un cochon qu'on écorchait pendant que Pépita, ne perdant pas le nord, entre deux cahots de rire et deux invocations à saint Blaise, tentait le bouche à bouche pour lui éviter de partir pour sa dernière demeure. Mais Boniface était déjà en route sur le canot menant à l'Autre Bord. Il mourut la bouche grande ouverte, la mâchoire bloquée, et quand finalement avec l'aide de Tito on essaya de lui faire refermer la bouche on retrouva au beau milieu de sa gorge, plantée comme un drapeau vert, une énorme arête verte d'orphie. La messe était dite, point ne fut nécessaire de médecin-légiste. L'étouffement par orphie et crise de rire fut caractérisé.
Au bout de sept jours de deuil, la fiancée du Commandeur, voulut se débarrasser, avant que l'épouse légitime et les héritiers de ce dernier, voulussent s'en saisir, de tout ce qui avait pu appartenir de près ou de loin au défunt. Elle confia donc à sa première dauphine, Artémia Guimbo, le soin de porter désormais le collier en dents de jaguar...