27.11.08

La Genèse de l'Archipel des Reliques

Selon ce que l'on a pu déchiffrer sur les roches gravées que l'on trouve à tout bout de champ sur les nombreuses îles de l'archipel, au début, au commencement de tout, à la racine carrée de nos latitudes et longitudes, à l'on ne sait quelle abscisse ni quelle ordonnée, tout n'était que rhizomes. Rhizomes entrelacés de si douce manière qu'à l'oeil nu personne n'aurait pu distinguer une racine de l'autre, une liane d'une autre, un bourgeon d'un autre. Tout n'était que rhizome, vous dis-je ! Rhizome ! Rhizome derrière rhizome, rhizome après rhizome, rhizome sur rhizome, rhisome sous, rhizome au milieu, rhizome aux trois-quarts, au tiers et à la totalité ! Une gigantesque queue-leu-leu de rhizome ! Ce monde sans microbe, d'éternelle pureté chaque jour redéfinie, bien avant le fruit à pain, les Anciens s'en réfèrent comme un monde archaïque, une ère sans soleil qu'ils nommèrent bien plus tard Matété.
Pour vous imaginer Matété aux temps de la Genèse, imaginez une purée difforme, une purée babélienne d'ignames de toutes les couleurs et de tous les clans, igname rouge, verte, blanche, noire, lilas, rose, grise, jaune, igname enabba, igname pacala, igname plimbite, igname pyramide, igname saint-catherine, igname pousse-en-l'air, igname belep, igname oriental, igname saint-vincent, igname de tasmanie, igname de toutes tribus, assaisonnée de crabes de toutes espèces et de toutes langues. Ainsi était Matété, le premier univers qui survécut aux tremblements de terre, éruptions et autres douceurs qui ébranlèrent l'Arrière-Monde.
Combien de temps dura Matété ? Nul ne le sait vraiment mais de récentes datations au carbone 14 le dissocient clairement de Maglouglou, la seconde ère, l'ère prolifique qui vit l'avènement sur l'archipel de l'igname rouge, symbole du sang des morts, symbole de la lutte que les dieux et les morts ménent inlassablement dans leur monde sous-marin. Cette igname avait toujours cohabité pacifiquement avec ses congénaires mais il semblerait qu'une modification dans son système de synthèse l'ait rendu soudain vénéneuse et les autres qualités d'igname rapidement se mirent à dépérir en présence de la diablesse. Devant les autres lignées d'ignames désormais immangeables on invoqua alors sortilèges, maléfices et bientôt ce ne fut que disette et désolation.
Les roches gravées racontent ainsi l'apparition d'une igname rouge aux dimensions faramineuses : on la nomma Kanbar, ce qui veut dire selon les experts Roi des Rois: deux mètres de long et cinquante centimètres de circonférence pour un poids de cinquante kilos sur la balance. Le même jour qu'apparut cette igname nouvelle, apparurent dans l'ordre le cyclone, le sable, le vent, la pluie, la lune. S'il faut en croire les roches gravées, l'événement majeur de notre création aurait eu lieu à la lune de mars, à la constellation des Pléiades.
Maglouglou 1er car c'est ainsi qu'il devait passer à la postérité est notre ancêtre à tous, l'igname de référence, le légume-racine par où transitent les fastes et les défaites, les songes et les mensonges, l'igname des prémices par excellence.
Maglouglou 1er nul ne sait s'il était mâle, s'il était femelle ou simplement hermaphrodite, mais il fut le premier. Il s'autoproclama illico presto souverain plénipotentiaire et sut s'entourer d'ignames de toutes castes et de toutes qualités à qui il refusa seulement de s'implanter sur l'île sacrée des Nombrils, lieu de pélerinage obligatoire qui lui fut d'office attribué. Il est vrai que l'île aux Nombrils était des plus fertiles avec un sol sablonneux propre à la culture de l'igname vorace de profondeurs et déjá étaient apparus des crabes de toutes engeances qui aéraient constamment la terre, la rendant si meuble, que l'igname rouge proliférait, proliférait, n'ayant pas en outre de prédateur attitré, de charognard invétéré pour le gêner dans ses prétentions.
Les autres espèces et variétés colonisèrent l'archipel. Il y eut ainsi à l'apogée de Maglouglou jusque 53 000 espèces d'ignames sur l'archipel.
On dénombra ainsi des ignames à rats, des ignames du pays, des ignames cochon, des ignames de deuxième qualité come l'igname wacacatuma, watronga, wakalikali, l'igname waetha, l'igname bilehe et enfin des ignames de troisième qualité comme l'igname hmarerum. Aucune ne pouvait rivaliser avec Kanbar, Roi des Rois, tant elle était parfumée des quatre vents de l'archipel, on y retrouvait l'amertume des lianes et du varech, la tendresse des vagues quand elle lèchent l'estran, et un infinitésimal soupçon d'odeur de charogne, bref elle était unique et irremplaçable.

26.11.08

La fabrication de l'élixir d'igname rouge



La fabrication à partir du faux sagou de l'élixir d'igname rouge, autrefois nommé Elixir des Gueux et qui guérissait jusqu'à la syphillis, est gardée secrète depuis des millénaires. Ce que l'on sait plus ou moins c'est qu'il faut pour le fabriquer de l'igname rouge que l'on fait cuire à la vapeur. On en tire une fécule rosâtre qu'on laisse séjourner une nuit dans l'eau avant de la coloniser ensuite par l'inoculation de quelques champignons aspergillus pendant deux jours à 37 degrés jusqu'à obtenir un moût que l'on va laisser fermenter après addition d'une solution d'amidon et de levure pour que se produise une saccharification et une fermentation. Après le deuxième moût, le filtrat est distillé. Le rendement est d'environ huit cent litres par tonne d'igname. Vient ensuite l'affinage qui peut prendre entre 3 et 6 mois.

17.11.08

La peau morte

le champignon provoque une pourriture
du tubercule de couleur brun-orangé qualifiée de “peau
morte”. La pourriture se développe dans la chair du
tubercule juste sous la couche ou peau liégeuse. De petites
boursouflures naissent à la surface de l’igname et la peau
se détache facilement de la couche inférieure. Par la suite,
une pourriture plus profonde se développe, jusqu’à ce qu’il
ne reste plus qu’une enveloppe ridée autour du noyau
pourri.

Quantos effundit in usus !


L'igname des Reliques (dioscorea kalakata) ou Igname des Gueux est une plante dioïque, c'est-à-dire que parmi ses pieds les uns ne produisent que des fleurs mâles tandis que les autres ne produisent que des fleurs femelles. Malgré cet handicap cette espèce d'igname est douée de nombreux moyens de reproduction. On le fait se multiplier par ses graines, bouturage, par plantation des bulbes aériens qui se développent à l'aisselle des feuilles, par plantation des bulbes terrestres, par la plantation de ses longs rhisomes entiers ou divisés en courts tronçons. Ses tiges grêles, couchées sur la terre, légèrement recouvertes ou même divisées en minces fragments, portant chacune seulement une feuille, peuvent s'enraciner aisément dans un terrain léger. Les fruits, succédant à de petites fleurs blanches, verdâtres ou pourprées, selon les variétés, disposées en grappes ou en épis, sont des capsules à trois loges contenant chacune deux graines. L'archipel ne produit pas de tubercules vénéneux et est notoirement propice à cette culture puisque son sous-sol possède une couche végétale de plus de 20 mètres. Indispensable pour une plante dont la tendance énergique des rhizomes souterrains est de s'enfoncer verticalement et profondément dans le sol. Si un corps dur, impénétrable, se dresse sur le passage du rhizome, celui-ci le contourne ou s'insinue dans la fissure, enfin si tout passage est exclus, si tout est complètement intercepté, il s'aplatit, s'étend et bifurque, allant jusqu'à former un tubercule digité. Mais quel que soit le cas il garde sa composition féculente et sa qualité nutritive.
Dioscorea Kalakata est plantée pour favoriser sa récolte selon des rites ancestraux sous des monticules de terre, des buttes qu'il n'y a plus qu'à renverser pour récolter les ignames. Dioscorea Kalakata est une plante sacrée qui ne pousse que sur l'île aux Nombrils, paradis des crabes rouges et des cocotiers. Une coûtume consiste à enterrer son placenta aux abords du littoral et planter dessus un cocotier pour éviter que certains esprits mal intentionnés ne pénètrent cette partie d'organe vivant plein de sang. En échange d'un peu de tranquillité on sacrifiera deux ou trois cordes de crabes, voire une bonne corbeille de crabes cuits bien rouges, couleur de sang, en offrande aux dieux. Malheur à celui qui oublie ou dédaigne se dédouaner. Il lui arrivera peut-être ce qui arriva à Krishna Malanga qui allant cueillir son coco arrivé à maturité fut tout surpris de ne trouver que du sang dans le coeur de la noix de coco au lieu de l'eau de coco tant espérée. Krishna Malanga , dans le domaine de la ritualité funéraire, était un homme-orchestre à lui tout seul: il était tour à tour frappeur de cercueils et savait comme personne monter leur ossature en bois, laqueur et pouvait revêtir chacun de ses meubles des résines les plus secrètes de l'île, mais il était aussi habilleur de toutes sortes de qualités de bières et de bocks qui pouvaient aussi bien être des lits, que de petites caisses, voire des valises ou des aquariums avec crique. Il était aussi zingueur, décorateur funéraire et chauffeur de corbillard quand ce n'était pas démarcheur.
Mais notre homme était pingre, de la pire race des pingres. Et voici comment il finit par payer cette pingrerie car les esprits ne jouent pas... les Esprits ne jouent jamais, vous savez ! Quand les Esprits ont décidé de frapper, ils frappent... Ils ne crient ni gare ni guerre ni Lagardère, ne demandent ni gîte, ni couvert. Ils tombent sur vous, un point c'est tout et alors vous pouvez toujours recommander à la va-vite votre âme et votre gamme à la bonne volonté du Seigneur, il n'y a plus rien à faire... Vous êtes mûrs pour les galères, mon pauvre ami. Vous êtes instantanément dégradés, reduits à la substantifique poussière. Votre moëlle devient couenne, votre cervelle part en friche. Il pensa immédiatement à son épouse Avémaria qui attendait calmement de mettre bas leur premier rejeton. Krishna eut une vision et se mit à courir comme une déradé vers l'ancrage dans la mer où se trouvait son casier de crabes. Un requin-esprit qui croisait par là lui barra le passage et lui donna tout tranquillement deux coups de mâchoires fines comme des rasoirs de barbier qui lui sectionnèrent dans une frappe chirurgicale la jambe juste au-dessous du genou droit. Ainsi se vengent les esprits sans faire de bruit... Tout tranquillement.
Et c'est tout naturellement qu'on enregistre la présence sur cette île d'un rhizome présentant lui aussi une chair couleur de sang, ce qui loin de le rendre immangeable est sur l'archipel des Reliques le mets le plus exquis pendant les quatre saisons de l'igname. On ne cesse du monde entier de s'extasier devant la belle couleur rosâtre de sa chair sous l'écorce violet foncé dont on doit laver la fécule dans plus de sept eaux avant d'en tirer le faux sagou.
Les officiants chargés de la plantation et de la récolte de cette igname réputée pour ses pouvoirs magiques sont les responsables de la fabrication du tafia d'igname ou thé d'igname, le fameux chaud-chou, alcool distillé à base d'igname et titrant à 50 degrés. C'était autrefois la boisson des gueux, des vagabonds, et le meilleur des désinfectants, une eau de Cologne rose, aux ingrédients jalousement gardés de père en fils par une famille dévote de Saint Henri, saint patron de l'igname.

10.11.08

D'où l'Evangile selon Jaguar tire sa racine ?



Les Anciens des Reliques racontent volontiers au détour d'un verre de tafia qu'Entre-Deux-Morts se situe entre le crépuscule et le ciel et que le premier bougre reliquois était en vérité un pied d'igname-liane qui avait échoué sur les rivages originels de ce qu'on appelait alors l'île Chapelle, et qui porte depuis des siècles l'appellation contrôlée île aux Ignames. Ce bougre primordial archaïque, cet Igname-liane originel qui se fit appeler Ochan ce qui en Reliquois moderne se traduit par : Fils d'igname, ce sont des ignames. Par la suite pour brouiller les fils d'igname et de liane de sa naissance Ochan écrivit notamment: 'Nous sommes une plante, non point terrestre, non point céleste, mais du Tout-Monde'.
Par la suite les Ignames-lianes se greffèrent par bouturage ou marcottage à des Mangues-fils, pour donner naissance à des mangues-ignames, des mangues-lianes, des ignames-fils et des lianes-fils, puis les hasards et miracles de la pollinisation par abeilles et chauves-souris engendrèrent mangues-abeilles et ignames-souris.
Nos ancêtres Ignames-Lianes, donc, ne fonctionnaient pas avec l'entre-deux, le ciel et la terre, ni avec l'entre-quatre, le ciel, la terre, les dieux immortels et les hommes mortels. Non, nos ancêtres Ignames-Lianes se disaient OChan, ils étaient des prototypes à la fois consécutivement et parallèlement et intrinsèquement l'envers et son contraire, tous unis dans la même miscigénation. Au gré des concubinages, des avortements et des fécondations, de mutations spontanées ou provoquées, ils devenaient chaque jour plus résistants au rhum jusqu'au jour où surgit le premier bancoulélé et où l'on découvrit qu'on était la foudre, l'on découvrit que la foudre, que l'éclair, que le tonnerre, que le cyclone, que les mangues-lianes, que les mangues-ignames, lianes-fils, lianes-ignames, mangues-abeilles, ignames-souris avaient la même senteur vigoureuse de l'igname sauvage quand il fleurit, l'été, au soir, les racines immergées aux nuages...
Leur archipel devient une infime partie du Tout-Monde, et au même moment elle était le Tout-Monde. Leurs racines étaient rhizomes, et répandaient aux confins du Tout-Monde l'odeur de fauve du Jaguar...
Elles le sillonnèrent alors, ce brave Tout-Monde, en long en large et en quinconces, le creusèrent par tous les moyens possibles et imaginables, d'Atlantide en Mésopotamie, d'Hyperborée en Himalaya, d'Egée en cordillère des Andes sans oublier l'immense plateau central africain, et devant l'évidence que partout ce n'étaient qu'ignames à sept racines ils rebaptisèrent Ochan Jaguar, se nommèrent Equitumans, puis Tumuchis avant de devenir au seixième siècle, avec l'arrivée du Père Flèche Blanche Reliquois...

2.11.08

Bancoulélé


Bancoulélé, Bancoulélé, la seule évocation de Bancoulélé plonge le commun des mortels de l'Archipel des Reliques dans des borborygmes sans nom. Les figures se décomposent, les systèmes digestifs traumatisés ne savent où donner de la transe. Oui vous verrez bien quelques rabat-joie empoisonneurs, munis de leur chasse-mouches, amateurs de babillages, de persiflage et de manger cochon vous dire que c'est Bancoulélé qui est la raison pour laquelle l'île se retrouve concombre sans graines, que c'est  Bancoulélé, qui est à lui seul la cause de tous les maux sur l'archipel, que c'est la manifestation la plus visible de l'ange déchu, que Bancoulélé c'est plus que sorcellerie c'est extrême sorcellerie comme on dit extrême onction et que c'est presque 65 pour cent du taux des naissances avant terme, que Bancoulélé c'est le grand Décalotteur de l'homme et tant de semblables vilénies, mais sans Bancoulélé, les îles ne seraient ni plus ni moins que des confettis de lave sur une mer sans fin. C'est Bancoulélé qui apporte à ces îles leur légitimité, leur voracité de vivre, leur soif de reconstuire. Qu'on soit crabe cirique, raisinier de mer ou défricheur de la rosée, qu'on soit bleu ou blème, mangue mûre ou sûre, on meurt d'impatience dans l'attente de l'arrivée de Bancoulélé.
Certains pour se protéger de Bancoulélé font appel à d'étranges pratiques comme placer sous leur sommier un bol de vin d'igname avec une fourchette pendant au-dessus. D'autres pour s'attirer les faveurs des saints tutélaires de Bancoulélé placent au carrefour des routes leurs offrandes, ici une bouteille de mousseux trône sous un fromager comme l'hydromel dans son amphore, là un plat fêté de ragoût de gombo avec de la crème de cacahuètes et de noix de cajou, là encore un gobelet de popcorn, plus loin une caisse de rhum que nul ne s'aviserait de dérober. Chacun y va de sa contribution, il s'agit de régler au mieux ses honoraires au Grand Nettoyeur qui à l'issue de sa période de viduité vient à nouveau faire le ménage, vient arbitrer moyennant épices et force ignames, sa nourriture par excellence avec pour seul condiment le sel de cendres. Et si l'igname fait défaut, prenez garde car le Grand Raton Laveur ne se laisse pas amadouer par des mets de substitutions aussi royaux fussent-ils que le maïs, le malanga ou les cacahuètes. Car sans igname, pas de vin d'igname et sans vin d'igname versé dans les fosses libatoires pas moyen d'intercéder auprès du Vorace et de plaider une réduction de fracture. Sans vin d'igname pas moyen, l'affaire est grave, on ne peut pas tergiverser, c'est la famine, c'est la sécheresse, c'est la calamité et la période de soudure se fait période de saumure. Offrez viandes sacrificielles, offrez coq de bruyère, offrez pois du bois, offrez farine de manioc revenue dans l'huile de palme, rien n'y fera, sans la présence du précieux tubercule. Vous ne ferez que courroucer encore plus l'Affamé...
Le premier Bancoulélé se produit généralement au mois d'août et le dernier en novembre. De sages experts sont nommés par le gouvernement des Iles Unies des Reliques pour tenter de savoir quand aura lieu la festivité apocalyptique mais Bancoulélé a la floraison erratique et capricieuse et n'avise personne de son parcours de disette. Il aime se faire attendre. Parfois il point tout au bord de l'archipel puis décide d'aller semer sa gourme de plants stériles ailleurs dans un grand virement d'humeur. Alors les îles en chaleur, les unes après les autres, se font insinuantes, accueillantes, caressantes, voluptueuses chattes sur une mer brûlante que le Vandale va ensemencer.
Quand enfin il se résout à pénétrer l'espace reliquois, on se signe tout un chacun du signe de la croix, signe que le Nouvel An vient de commencer.......