19.3.07

Bisous partout et nulle part ailleurs !


Alors qu'il évoquait avec Artémia Guimbo, vingt-deux ans après, leurs premières rencontres, Orphélien fut surpris par la mémoire précise dont elle faisait preuve pour certains épidodes et par le brouillard profond où elle était plongée pour d'autres. Lui même n'était pas mieux loti ...
Il se souvenait ainsi parfaitement l'avoir surprise en pleine nuit en plein dévergondage mystique dans la mangrove de Saint-Hyacinthe. Il avait d'ailleurs les photos pour le prouver. Et il les lui remit avec un grand sourire cynique en disant :
- Tiens c'est pour toi. Ca aurait été dommage de perdre un spectacle comme cela. Moi j'étais juste là au bon endroit et à la bonne heure avec mon Baby Rolleiflex !
- Ah tu les as gardées tout ce temps ces photos ? Tu ne les as pas publiées au moins ?
Puis se jetant avidement sur les photos, elle fit :
- Ah j'avais les cheveux si longs à l'époque ?
- Tes cheveux, je n'ai pas trop fait attention, vu que tu étais nue comme un ver avec comme seul costume le fameux collier en os prêté par Flore de Sainte Rita.
- Maintenant j'ai changé. J'ai pris un peu de poids.
- Mais ce n'est rien à côté de moi. Moi c'est bien 30 kilos que j'ai pris. Alors que toi tu es toujours une femme-violon.
- On voit que tu ne vois pas la culotte de cheval, les vergetures et les poignées d'amour.
- Mais moi je n'ai pas changé à ce niveau là. mes goûts sont toujours les mêmes. J'adore ce corps. On dirait qu'il a été cousu sur mesure pour le mien !
- Arrête de faire des promesses que tu ne pourras pas tenir !
- Ensuite tu es rentrée chez moi comme une voleuse et tu m'as violé comme un malpropre! Tu avais oublié ?
- Moi, te violer ?!!
- Oui j'étais en train d'écrire et tu en as profité pour me violer. D'ailleurs je ne me plains pas, mais les faits sont les faits...
Le lendemain leurs routes s'étaient séparées au petit matin. Le temps avait passé. Elle avait connu la dérade, la déraison. Puis un mercredi des Cendres, quelque dix ans après, le hasard les avait réunis à nouveau sur l'île de l'Epée chez Pépita Sandragon, la mère d'Artémia...
Ils s'étaient alors retrouvés au cimetière le jour suivant pour l'enterrement d'Arsène Tamarin dit Boniface, mort à cause d'une arête d'orphie qui lui était restée en travers du gosier.
- C'était un mercredi des Cendres. Là encore tu as fait des photos que je n'ai jamais vues. Tu ne te souviens pas ? Un mercredi des Cendres ! On avait fait de l'orphie boucanée et du colombo de guimbo...Tu avais encore ton Rolleiflex ! Tu l'as encore ?
Lui l'avait oublié. Il pensait l'avoir rencontrée ensuite au Bal de Kalakata.
- Un mercredi des Cendres! Mais comment ai-je pu l'oublier ! Si j'ai oublié c'est que je devais être saoul alors ! J'avais beaucoup bu ?
- Non pas plus que ça. On a même dansé ensemble à un moment !
- Si on a dansé, fit-il, c'est que tu devais savoir fichtrement bien danser. Car à l'époque et jusqu'à maintenant je n'invitais que celles qui savaient danser...Et après l'enterrement de Boniface à Kalakata on s'est revus ?
Elle sourit pour dire :
- Non, mais tu ne te souviens de rien décidément. Nous sommes sortis du cimetière ensemble et tu m'as ramenée chez toi. Mais je n'ai jamais su danser ! Je me débrouille, c'est vrai, mais, d'après ce que je me souviens, ce n'est sûrement pas pour ça que tu m'as invitée.
- Je t'aurais invitée pour ton corps alors ? Ou alors c'est que tu m'as souri, avec ce sourire dévastateur que tu as encore sur les lèvres. un peu moqueur, quand même. J'ai dû vouloir relever un défi...Ou alors encore ce collier en os que tu portais...Je crois que c'est au collier que je ne peux pas résister. il doit y avoir du plus et du moins dedans.
- Moi je crois que tu voulais surtout danser avec mon corps....D'ailleurs le collier il y a belle lurette que je ne l'ai plus. Il s'est volatilisé. Comme toi tu t'es volatilisé d'ailleurs. Au fait qu'as-tu fait de beau à Macondo ?
- Deux femmes et quatre enfants. Et toi ?
- J'ai ma fille Tanajura dont je t'avais parlé à l'enterrement tu te souviens. maintenant c'est une femme. Elle fait ses études de pharmacie à Macondo. Quant à moi j'ai été à droite à gauche. Je me suis attachée. J'ai rompu. Depuis septembre je suis seule et heureuse !
- Tu n'en soufres pas ?
- Je vis seule mais j'ai beaucoup d'amis, ma fille, ma mère, ma soeur. Et puis il y a les plantes médicinales qui me prennent tout mon temps.
- La chair est faible....Et pourquoi nous sommes-nous quittés ?
- C'est toi qui m'as quittée ?
- Mais pourquoi ?
- Je ne sais pas, tu ne voulais plus de moi.
- Parfois, j'y ai pensé et je me suis demandé pourquoi nous nous étions quittés. J'en ai conclu une crise de jalousie de ta part.
- Moi, jalouse, jamais, au contraire... Ce serait plutôt toi
- Alors, disons possessive ou exclusive
- Tu me disais toujours calme-toi, calme-toi.
- Je crois me souvenir en effet que tu étais particulièrement gourmande, plutôt difficile à satisfaire.
- Le revoila, le Tito-Dandy, toujours prêt à écorcher. Oui en effet, gourmande je le suis encore. Je suis toujours comme ça. Je n'ai pas changé. J'adore faire l'amour...Au fait tu te souviens quand nous sommes partis un mois ensemble avec ton canot blanc et que tu m'as abandonnée toute une nuit pour un mariage gitan. Je me souviens encore que tu étais toujours en érection.
- Peut-être à cause de la jupe que tu portais.
- Je me souviens aussi que tu avais un drôle de chapeau.
- Ah bon ? Un béret ? Un calot ? Un képi ?
- Un drôle de chapeau que je détestais.
- Moi ce que j'ai détesté c'est quand je suis venu te voir en août à Kalakata ! Tu m'as envoyé ta soeur ! C'est alors que j'ai su que nous étions cousins !
- Oui mais tu n'étais pas venu à Kalakata pour me voir. On n'était plus ensemble.
- Tu m'as vraiment déçu. J'étais venu pour te voir. Sinon que diable serais-je donc venu faire à Kalakata ?
- Tu aurais pu venir pour la treizaine à Saint-Antoine-des-Plaisirs-Divins par exemple !
- N'importe quoi ! Ta soeur heureusement m'a bien reçu. Nous avons même campé au bord du lac Kalakata. C'est un bon souvenir malgré tout. On a essayé de pécher des poissons à la main.
- Pendant que j'étais malade tu m'as écrit !
- Ah oui ? Et pourquoi je ne suis pas passé directement te voir ?
- Tu te souviens comment tu terminais toujours tes lettres ?
- Ah je t'ai écrit souvent ?
- Je crois. J'en ai conservé une. Tu te souviens ?
- Pas du tout !
- Tu finissais toujours par : Bisous partout et nulle part ailleurs !