Parfois dans sa semi-retraite, à la saison des pluies, entre juin et
juillet, le temps d'une petite digestion avant la saison du Grand
Cisaillage, bien calé au fond de son hamac entre les racines en arc des
palétuviers, Cyclone Vingt-neuvième du nom méditait. A ces heures
intimes, la seule chose qu'il souhaitait c'était se faire gratter le dos
par une âme charitable mais dans ces marais d'outre-tombe personne ne
s'aventurait à sortir le bout du rostre ou l'ombre de l'aiguillon de ces
terriers profonds, de dessous les feuilles ou du fond du limon... Alors
il se curait inlassablement les dents fouillant les interstices et
suçant la moindre déchet de chair et le ré-ingurgitant avec délectation.
Cyclone méditait, donc. Il plongeait ses yeux à l'horizon impalpable et
attendait ...attendait... attendait...attendait...attendait...
Et
alors la vision arrivait....Toujours la même...Implacable...Précise,
détaillée, scientifiquement vraie...C'était son ombre, Commandant Cafre,
le natif de Caféière, qui le taquinait, toujours à l'heure de la
sempiternelle sieste.. C'était toujours quand il naviguait entre les
deux eaux du fleuve sommeil que le malpropre réapparaissait en grande
pompe... Parfois on le voyait accompagné de la dernière de ses
concubines. parfois c'est nu au garde à vous qu'il se présentait et
c'est dans l'une de ces apparitions qu'il put voir ainsi que le pauvre
bougre n'était même pas pas circoncis. Son double, son ombre, son autre,
même pas circoncis. Mais loin d'en tirer fierté Cyclone s'en inquiéta.
S'il n'était pas circoncis, c'est qu'il n'était pas initié et alors il
ne connaissait pas les règles du savoir-vivre assurément. C'était
toujours la même vision: tout l'ordre des Ombres réuni sans étiquette
dans des flacons d'alcool ou de formol dans la collection particulière
d'un certain docteur Isis. Toute l'ordre des Ombres impeccablement
réuni, répertorié, disséqué en sous-ordres, divisions, super-familles,
familles, genres, espèces, sous-espèces. Ce n'étaient que carapaces
rouge violacé, jaune grisâtre, fauve, brun clair, rostres, cuillerons,
pattes et antennes du côté de la branche cancérienne de son aïeul Chacha
premier du nom, fils de Gaiamun, connu pour la finesse et la bonté de
son goût, grand amateur, fin gastronome amateur de bon maïs, patates
douces, fruits et autres substances végétales, mais particulièrement
friand de canne à sucre. Quant à son côté maternel, ce n'était que
Mégachilides, apoïdes, aculéates, apocrites hyménoptères, à la glosse
bien développée, une pièce buccale du style broyeur-lécheur, captifs
dans leurs bocaux remplis à déborder de cire. Il voyait même nettement
un petit écriteau signé du bon docteur Isis qui disait : il n'existe
plus au monde d'ombre découpeuse, ces ombres à langue longue sont les
uniques spécimens d'ombres découpeuses au monde.