5.10.10

L'apparition

Le premier mot qu'elle lui adressa fut des plus banals:
-Excusez-moi, fit-elle, lui intimant de se lever pour qu'elle puisse s'asseoir à côté de lui, prés de la fenêtre du bus 31 qui les emmènerait vers la mer.
Il fallait se décider. Allait-il, lui l'Amiral Zéro, rester à sa place ou lui céder la sienne ? Il réfléchit à trois mille à l'heure et au bout de douze aller-retour entre la terre et la lune et un petit passage par la planète Mars qui ne durèrent que l'espace d'une seconde où il fut subitement baigné d'une étrange lumière, il lui demanda presque hébété:
- Ce bus va à Wolfork d'abord ou il passe par la Sirène ?
- Il passe par la Sirène d'abord, lui répondit-elle
- Dans ce cas je vais m'asseoir ici parce que vous descendrez sûrement avant moi parce que, moi, je vais à Wolfork, precisa-t-il.
Il n'avait guère qu'entr'aperçu en se levant pour lui céder sa place le visage de la dulcinée. Il ne vit nettement que son bras qui agrippait la barre pour s'asseoir. Il s'assit bien sagement un bras tenant comme un gouvernail le livre qu'il était en train de lire, un livre de cuisine qui venait de lui donner l'envie de fabriquer des macarons, et sans aucune raison aucune il vit bien qu'il lui montrait ostensiblement ce qu'il était en train de lire. L'instant d'après le voilà qui lorgnait sur sa droite et qui commença à la détailler en quinconces des pieds à la tête. Ses sandales ouvertes révélaient de petits orteils. Ce qui le surprit le plus ce fut l'absence de bijoux, tout juste un fard à ongles beige crémeux aux ongles des pieds et des mains. S'il fallait lui donner un âge elle avait quelque chose entre 25 et 30 ans et pour lui il eut la certitude que c'était son ange gardien tombé du ciel.
Il fallait à tout prix engager une conversation sans être pour autant outrecuidant. Car elle pouvait descendre à n'importe quel arrêt mais il se dit que si elle s´était assise c'est que logiquement elle voulait se reposer et que donc elle allait descendre un peu plus tard. Mais il fallait avancer, planter une banderille, avancer un pion, vite, vite. La partie d'échecs et de cache-cache amoureux allait commencer.
A droite de l'autre côté de la chaussée il y avait des dunes, presque immaculées, que, il l'avait remarqué quelques semaines auparavant, de nombreuses personnes foulaient. Ce fut une vraie inspiration. Merci seigneur, pensa-t-il.
Encore fallait-il oser, mais de quel droit aborder de la sorte la belle inconnue. par babord par tribord, vent de face ou vent debout ?
IL se jetta à l'eau, après avoir avalé un grand bol d'air, lui qui ne savait pas nager (d'où le surnom amiral Zéro qui lui collait aux basques):
-Mais où donc mènent ces dunes, vous savez, vous ? L'autre jour j'ai vu une ribambelle de gens qui défilaient lá-haut. Il y a quoi derrière ?
Miséricorde ! Elle répondit d'une voix qui semblait provenir d'un choeur de chérubins:
- Ce sont des chrétiens. Ceux qui vont lá-haut ce sont des chrétiens. Ce chemin, cette dune ne mène à nulle part.
- Ah vraiment je me demandais ce qu'ils faisaient la-haut !
- Ils prient....
- ET vous n'êtes pas chrétienne, vous ? s'entendit-il dire
-Si, je suis chrétienne mais eux ce sont des chrétiens plus exigeants. Moi aussi je suis chrétienne mais pas comme eux
-Ah vous êtes baptiste alors ?
-Oui
-Moi j'ai été élevé dans le catholicisme. J'ai même été enfant de choeur, continua-t-il, lui l'athée convaincu
-Moi aussi, j'ai été baptisée, confirmée, j'ai fait ma première communion, continuait-elle
-Vous allez à la plage, s'enquérit-il
-Avec ce pantalon ? sourit-elle.
-Non c'est cette blouse que vous portez, si colorée qui m'a fait penser à ça.
-Non j'habite ici de l'autre côté, dit-elle à Brasilia. Je vais à la banque.
Enhardi par tout ce qui venait de se passer, il fit tout de go, jetant comme le capitaine d'un frêle esquif à la dérive sa bouée de sauvetage:
- Vous me plaisez beaucoup, vous savez, vous avez un email ?
- Non je travaille là-dedans et je n'ai ni email, ni blog, ni site internet
Mais il continua son entreprise de séduction jusqu'au bout. Maintenant qu'il avait dévoilé un pan de son coeur il fallait se livrer encore plus au risque de tout gâcher...
- Mais vous avez un portable quand même...
Il dut dire le mot portable en bégayant car elle ne comprit pas immédiatement. Il dut répéter:
-Un portable. Vous avez un portable ?
-Oui répondit-elle. Un petit portable tout riquiqui.
-Alors je vais vous donner mon numéro. Comme ça on ne se perdra pas de vue. Notez.
Tout se passait comme dans un rêve. L'apparition souriait et inscrivait méthodiquement les numéros au fur et à mesure qu'il les répétait quatre-vingt-onze, onze, quarante-six, trente-cinq. Elle enregistra trente-six au lieu de trente-cinq. Puis revint en arrière et corrigea. Ensuite il fallut épeler le prénom SILEX. Elle referma son portable, se leva. Il n'eut que le temps de lui demander son prénom.
Elle répondit quelque chose comme Karine. Mais il l'avait déjà baptisée d'Aparecida, l'Apparition. Et elle disparut dans la foule. Etrangement, lui qui adorait les derrières bien rebondis et les poitrines saillantes, laissant devienr des formes souriantes et amènes, il ne chercha même pas à la suivre du regard. Peut-être aurait-il dû descendre, l'accompagner. Peut-être aurait-il dû lui demander son numéro au lieu de lui donner le sien ? Peut-être ! Il avait en lui cette certitude, cette foi en elle, une certitude effarée, qui ne reposait sur rien, une force tranquille qui l'impressionna lui-même. Et si elle avait voulu seulement être aimable ? Il repoussa très vite cette idée: on ne note pas le téléphone de quelqu'un sur son portable seulement pour être aimable. Elle le rappellerait, ce n'était qu'une question d'heures, voire de jours. C'était un lundi matin, il était 11h40. Dans 20 minutes l'angélus....
Vint le mardi et les premiers doutes car elle n'avait toujours pas daigné se manifester. Ah c'est moi qui aurait dû prendre son numéro! ET puis aussi quelle idée de se promener en pantalon de treillis ! Elle a dû penser que j'étais un quelconque militaire. Ah non sûrement pas avec cette barbe mal rasée!
J'étais pitoyable pensa-t-il... J'aurais d'emblée dû lui proposer mon meilleur profil , mon meilleur sourire, mes fossettes qui me font croire que je suis irrésistible, et m'asseoir sur le côté du couloir et non du côté de la fenêtre... Car ça m'a avancé à quoi tout ça. Pourrais-je même la reconnaître dans la rue si elle venait par hasard à réapparaître? Et si on ne se revoyait plus ! Il n'osa imaginer le pire et vite chassa cette idée farfelue de son esprit. Elle rappellerait, juré, promis. Il l'avait dans la peau, il le sentait, question de phénoronomes,donc inévitablement elle se manifesterait.... Cela ne faisait pas l'ombre d'un doute. Son destin était tracé à la faux.
Le mercredi arriva et toujours rien. Son portable sonna le mercredi soir vers 21 heures mais ce fut parce qu'une de ses élèves voulut annuler le rendez-vous fixé au lendemain.
Le jeudi matin il était libre, elle l'appellerait sûrement, à moins qu'elle ne se réserve pour le week-end. D'ailleurs le mardi suivant serait férié, cela augmentait à coup sûr les occasions de se faire appeler par l'Apparition.
Il suffisait d'arrêter de se ronger le sang, mordre son frein n'a jamais guère servi qu'à de vieux chevaux de retour, et lui n'en était pas là heureusement. Il se sentait l'âme d'un jeune pur-sang arabe, il piaffait d'impatience mais tout se passait comme si la mer était étale... Nul mouvement, seul le désir qui pulsait entre ses jambes dès qu'il se mettait à penser à elle.
Elle était donc très religieuse, semblait-il. Mais ni plus ni moins que beaucoup d'autres femmes qu'il avait côtoyées dans son existence mouvementée. Voilà qui laissait une marge à l'espoir.
Il prit donc une résolution rapide: S'il fallait se marier, il se marierait, s'il fallait se confesser, il se confesserait, s'il fallait se convertir, il se convertirait, car pour se fondre en elle il venait d'abdiquer, lui le bon vivant de tout, sur la terre comme au ciel, il venait d'abdiquer de l'enfer et du paradis pour un purgatoire éternel dans les girons fatals de l'Apparition

23.9.10

La criée des âmes

L'encanteuse était toute fébrile. L'encan allait débuter. Sur le parvis de l'église Saint-Antoine-des-Plaisirs-Divins et dans les bars environnants l'atmosphère allait bon enfant chacun piquant sa fourchette avec entrain dans la traditionnelle daube de raccoon aux haricots secs ou remontant en verticale du tafia le plus vert au plus musqué.
Pour la criée des âmes de cette année chacun avait donné son écot. La marguillère en charge avait fait sa tournée et récolté aux quatre coins de la contrée fruits, légumes, animaux et autres objets pour aider les âmes des morts à purger leur mauvais temps au Purgatoire. Oui, la grande vente aux enchères alait débuter. Chacun à défaut de catalogue se préparait à saisir à bon prix la bonne affaire. Tel quel, sans garantie. Pas de réclamation après le coup de marteau, ferme et définitif. On jaugeait de la qualité de la bête. Ah ça c'est de la belle croupe, une bonne reproductrice, entendait-on murmurer à propos d'une génisse. Il y avait pèle-mèle deux confessionaux, un seau d'aspersion avec son goupillon, sept bénitiers, deux fonds-baptismaux, un calice, une chaire, un autel
Mais le clou de la cérémonie, je vous le donne en huit, c'était un corbillard , un corbillard blanc pour enfants, complet avec accessoires et garnitures, un peu rassis mais complet avec ses carapaçons pour chevaux, ses galons en argent, ses gants blancs un peu décatis, ses plumets fanés, ses croix, ses larmes et son baldaquin, ses franges et ses glands d'argent sans oublier ses tentures virginales. Dans cet étrange équipage avait jadis figuré comme un trône le sextuple cercueil de Pantaléon, l'Indicible, le Maître Intercesseur en Personne recouvert de son drap mortuaire et dont les cordons se poêle semblaient prier à tout rompre pour trouver un acquéreur. Oui, six cerceuils dans leur sarcophage de porphyre rouge. Du cerceuil en fer blanc au cerceuil en chêne extérieur on passait successivement par le cerceuil en acajou, deux cerceuils en plomb, et un cerceuil en ébène. Le dit véhicule après quelque trois-quarts-de-siècle de bons et loyaux services allait pouvoir faire l'objet d'une retraite méritée et était le don de l'entrepreneur des pompes funèbres qui venait de faire faillite car cela faisait dix ans tout juste que nulle âme innocente n'était décédée et que le vénérable char hippomobile moisissait dans un atelier. Qui allait oser acheter et à quel prix cet équipage. Si encore il y avait eu les chevaux on aurait pu tirer parti de quelque chose, ne serait-ce que de quelques boucauts de viande, mais de ces chevaux-là il n'y avait plus rien à tirer ni au labour ni à fortiori sur le champs de courses. C'étaient de vieux chevaux de retraite donc à quoi bon un achat à perte ? Chacun y allait de sa petite recette. On pourrait l'utiliser pour les mariages mais on ne voyait poindre à l'horizon aucun mariage dans la région. Ah ça l'encanteuse allait avoir bien du fil à retordre pour placer à l'encan ce chariot funéraire qui tenait plus du macchabée ambulant que d'autre chose.
Ce n'était pas rien, commentait l'encanteuse, vêtue pour l'occasion telle une cochère funéraire en redingote et chapeau haut-de-forme, que ce monument historique qui avait effectué des enterrements de toutes classes. 1re classe (180 F) : corbillard emmené par deux chevaux avec couvertures, garnitures de luxe frangées (argent), quatre cordons argentés, quatre pompons avec plumets et lanternes voilées en crêpe. 2e classe (120 F) : corbillard avec deux chevaux sans couverture, garnitures ordinaires avec franges en coton, quatre pompons avec plumets, lanternes sans être voilées. 3e classe (80 F) : corbillard à un cheval sans couverture, garnitures simples avec frange coton, quatre cordons coton, quatre pompons sans plumet, lanternes sans être voilées. 4e classe (30 F) : corbillard à un cheval, sans garniture...sans oublier une kyrielle d'indigents inscrits au bureau de bienfaisance
Quant aux funérailles religieuses elle rappela qu'elles se déroulaient ainsi : 1re classe (messe à 10 h 30 ou 11 h).- autel : candélabres et cierges, grand catafalque et tentures sonneries : la veille, à midi et le soir, et le jour, au matin et avant l'office.

2e classe (messe à 10 h).- autel : candélabres et cierges, grand catafalque et tentures sonneries : la veille, à midi, et le jour, au matin et avant la messe.

3e classe (messe à 9 h).- autel : cierges, petit catafalque sonneries : la veille, à midi, et le jour, avant la messe.
Il ne manquait plus que la mise à prix pour voir si les passions allaient se déchaîner autant qu'elles se déchaînaient pour obtenir un cochon bien gras, dodu et prometteur de bonne ripaille.
L'encanteuse ménageait ses effets.

13.5.10

La basse-cour de l'Ecclésiaste

Ah l'épouse légitime de l'Ecclésiaste ! L'unique et seule éleveuse de coqs de l'archipel ! Eleveuse de coqs ! Certains allaient jusqu'à dire souteneuse de coqs. La vérité exige néanmoins une correction orthographique; je dirais donc souteneuse, couveuse, soutireuse, éleveuse, entraîneuse d'un coq. Une relation qui paraissait à tout un chacun si malsaine, si diabolique qu'on ne connaissait depuis belle et vieille lurette la supposée coquine que sous le vocable de l'épouse légitime de l'Ecclésiaste. L'un ne se déplaçait pas sans l'autre et selon toute vraisemblance ils faisaient tous deux couche commune puisque la vieille chaperonne elle-même vendait ses oeufs ainsi: "Les bons oeufs des maîtresses de l'Ecclésiaste, les bons oeufs de mon mari, bien frais, bien appétissants !!!"
Et il est vrai que les oeufs des poules de l'épouse légitime de l'Ecclésiaste avaient une saveur, un éclat particulier. Leur jaune resplendissait entre le vert des pâturages et le bleu de l'océan, leur coquille était d'un noir de robe cendrée de veuve, le blanc de l'albumine était de la couleur de l'ambre. Suite à on ne sait quel pacte, les oeufs étaient enrobés dans la paille et la chaux, salés, parfumés au café ou au thé, ensevelis sous terre pendant trois bons mois, déterrés, et alors ils devenaient les oeufs de l'Ecclésiaste, à nul autre pareils. D'aucuns experts nommaient ces oeufs oeufs de Cent ans, voire de mille ans. D'autres murmuraient plutôt oeufs de Satan ! Il advint même qu'on les appela les cent oeufs de Serpent de l'Ecclésiaste !
En effet l'épouse de l'Ecclésiaste avait la manie de compter ses oeufs un par un et ne partait sur le marché que quand elle avait récolté ses cent oeufs, ce qui se produisait tous les jours indéfectiblement avant les 8 heures du matin. Or ce jour-là elle n'en décompta que quatre-vingt-treize. Sept manquaient donc à l'appel. Il fallut trouver le coupable. Ce fut branlebas de combat dans la basse-cour de l'Ecclésiaste mais que nenni ! Pas de trace des 7 oeufs de cent ans qui s'étaient fait la belle. C'est alors que poussant ces investigations jusque dans les buissons aux alentours elle vit un serpent en train de faire sa toilette ou sa digestion. L'intrus avait eu l'audace de gober ses protégés un à un et ceci sans en écraser la coquille qui il est vrai couverte de paille et de chaux avait pu résister à l'assaut gourmand du python. Il faut dire que ces oeufs étaient irrésistibles avec cette robe d'un or sombre, ambré. Le nez était très intense, avec beaucoup de tabac, mais aussi des raisins de bord de mer et des fruits blancs, de canne à sucre et d'hydromel. La bouche était vraiment surprenante, très sucrée, mais avec tout de même de l'acidité.
Mais au diable l'oenologie, il ne s'agissait que d'oeufs de poule, quand bien même fussent-ils ceux d'un connétable de poulailler, pas de flacons précieux de Veuve Clicquot !
Elle se saisit de sa machette et d'un coup de lame avisé trancha la tête de l'Ostrogoth avant qu'il n'ait pu régurgiter coquille écrasée et sucer la substantifique moelle...Deux coups de lame après et elle avait récupéré ses oeufs de cent ans pas pour le moins troublés par l'aventure...
Malgré les racontars, les médisances, avant même d'arriver sur le marché l'épouse légitime de l'Ecclésiaste avait normalement vendu ses oeufs de tous les délices à la populace.
Quelle affabulatrice, quelle fanfaronne, disaient les envieux !
Elle racontait ainsi à qui voulait bien l'entendre et prendre son mal caduc en sainte patience les aventures de ses oeufs de poule: Tenez-vous bien. La pauvre créature, une vieille demoiselle sur le retour, possédait en tout et pour tout ses septante et quelques douze pintades d'origine douteuse plus désincarnées que le Christ sur la Croix mais qu'elle couvait comme des rejetons de haut pédigree. Tout juste laissait-elle un vieux coq de combat brinquebalant jeter sa vieille gourme comme un apache dans les entrailles de ses protégées car sans gourme solide et liquide pas d'oeufs à vendre à la douzaine, vous comprenez....Les septante et quelques douze pintades de l'épouse légitime de l'Ecclésiaste, quelle histoire !
Elles portaient toutes un surnom: il y avait la Pure, la Cathare, la Parfaite, la Sainte Nitouche, la Catholique, l'Apostolique, la Romaine, l'Angole, la Pharaonne, la Vice-Reine, la Belle Salope, Reine de Saba, bref une ribambelle de demoiselles de haut lignage toutes servies par leur chevalier-servant, j'ai nommé l'Ecclésiaste, l'ex coq de combat Coq d'Arçons, champion du pitt à la retraite, un hérétique refusant par le biais de pépiements et miaulements à peine audibles le Dernier Sacrement, un infidèle à évangéliser qu'elle avait recueilli vagabondant entre vie et trépas après une défaite mémorable (un vrai massacre, Wilfrid Timothée qui l'abandonna de rage le jour de la défaite cuisante raconta même, avant qu'on ne le retrouve lui même décomposé en pleine mangrove, que le pauvre bougre se retrouva au bout cette empoignade avec en tout et pour tout cinq plumes accrochées encore par on ne sait quel miracle au corps étrangement embaumé) contre Baron-Soie devant une foule ébaubie chez Calvaire Marie-Sainte dans les hauteurs de Station Wolfork.....
Elle l'avait patiemment recousu, dorlotté, massé, remis sur pied, en aurait fait son amant, selon les mauvaises langues, mais toujours est-il que l'ex Général, Connétable et consorts en était ressorti boiteux et avec un oeil éclopé. Il fallut bien se résoudre à rebaptiser l'infirme et au lieu du nom de combat Général qui avait fait sa gloire et elle résolut de le faire entrer dans la carrière ecclésiastique l'affublant bientôt du surnom de Chanoine, puis sans qu'elle y prît garde, de nom doux en nom doux ce fut l'Ecclésiaste qui finit par prendre racine. Parfois dans un accent de colère le cul-de-jatte retrouvait sa gamme, sa toute prestance de Général aux cent vingt-huit quartiers trois-quarts de noblesse, portant le numéro 9 et pesant 17 kilos dans une autre incarnation, et, s'imaginant encore pourvu des ergots légendaires qui avaient fait sa renommée, faisait le coq de combat devant les poulettes. Un vrai paon ! Eclopé, mais un vrai paon ! Notre dit Ecclésiaste pavanait en long et en large du haut de sa soutane, de son rochet et de son camail dans une basse-cour qu'il avait transformée en choeur de l'église de son monastère. Et pour ensemencer les demoiselles de sa bénédiction, il n'y avait pas meilleur ensemenceur, il peuplait comme les rats d'Inde ! L'Ecclésiaste semait à tout vent sa semence à ses ouailles ! Sans flambeaux ni cierges, sans messe basse ni messe haute de requiem le corps présent, avant son inhumation, sans choristes, porte-croix, thuriféraires, bedeau, suisses, sonneurs et fossoyeurs, sans spectateurs sans aficionados qui avaient incontinent après la sanglante et retentissante défaite déserté sa chapelle.

13.1.10

Rêve d'ignames rouges


Epaminondas Bosco, l'Ecclésiaste, se réveilla en sursaut au premier redoux de la lune de mars. La veille il n'avait pas bu plus que de coûtume, se contentant sur le coup de midi d'un curry de mouton accompagné de bâtons de manioc et de patates douces sans oublier le riz, les haricots rouges, la petite salade et le piment, le tout arrosé de tafia, vin rouge sucré et force bière fraîche. Vers trois heures il n'avait même pas touché aux mangues qu'on lui proposait gentîment et préféré sa petite dose de tafia accompagné là encore de force bière fraîche. Puis il s'était offert une petite glace à l'eau avant de se reposer sur des boulettes de haricots à l'heure de l'angélus le tout en avalant quelques verres de ses deux élixirs préférés bière et tafia. Le soir ce fut une simple soupe, bien fortifiante et regardez ça, il n'avait même pas avalé une eau de café avec un petit morceau de pain beurré comme le lui proposait sa concubine Tereza-Raquel. Il s´était allongé sur le canapé et le voilà maintenant réveillé baigné de sueur se débattant comme un forcené sous un silo d'ignames rouges imaginaires à la Constellation des Pléïades. Rêver d'ignames, et rouges par-dessus tout ça emergeant comme un atoll de bile d'une mer bleu Iemanjá! Que pouvait donc vouloir dire ce rêve-avertissement ? Grâce, malheur, chance ? Il fallait qu'il en eût le coeur net. Qui allait donc pouvoir lui interpréter cela ? On allait lui demander des détails probablement, l'igname portait-il des bourgeons, le tubercule était-il mis en terre, quelle était la teinte exacte de la chose, des tuteurs avaient-ils été mis en place, comment se présentait exactement le plant d'igname, était-il orienté au levant ou au couchant, l'igname était-il apparu enterré, avait-il été trouvé, ou le lui avait-on offert, bref, cela allait barder. Ignames nouveaux ou ignames nouvelles ? Qu'en savait-il, ce n'était pas lui le géniteur! Ce n'était qu'un simple maître barbier spécialiste du coupe-chou, de la pierre d'alun et du blaireau en poils de martre!