14.10.07

L'inspecteur Hippolyte Lovely



L'inspecteur Hippolyte Lovely, avant d'être installé dans ses fonctions d'exploitant agricole sur la commune de Fonds Guatemala, avait exercé toutes sortes de métiers : il avait ainsi été tour à tour dans le désordre brancardier dans les hôpitaux, vendeur de journaux à la criée, professeur d'anglais, journaliste-pigiste, photographe, professeur de français, interprète-traducteur, instituteur, facteur, laveur de vaisselle, cuisinier, barman, employé de bureau, vendeur de bijoux, distributeur, chanteur, bibliographe et enfin policier avant de trouver enfin sur le tard sa vocation d'exploitant agricole. Ses études empiriques, ses humanités, comme il se plaisait à dire, n'empêchaient pas qu'il fût très scientifique dans sa démarche méthodologique et il suscitait l'admiration de ses pairs quoique cette admiration fût teintée d'un petit brin de jalousie comme il sied en général à tout être humain qui se respecte.
Il avait aussi la particularité insigne pour un homme d'être sujet à la migraine ce qui loin de l'handicaper dans l'exercice de ses fonctions d'homme des champs avait fini par au contraire lui permettre de repousser la maladie dans ses tous derniers retranchements. Il se plaisait ainsi à dire que si la migraine ne touche que la moitié de la graine alors utilisons l'autre moitié pour deux et c'est dans ces moments de crise migraineuse qu'il était paradoxalement le plus judidieux dans ses sprises de décision. Mais au nom de la vérité il convient de souligner qu'en vérité la plupart des énigmes qui lui étaient soumises étaient résolues par son ami inséparable, le dénommé Greffier, et qui était un picolette mâle noir à ventre marron.
Le volatile suivait Son Excellence dans tous ses déplacements bien au chaud dans une cage en bois, renouvelée s'il vous plaît tous les six mois, une cage aux fenêtres en permanence ouvertes. L'Inspecteur, qui s'était mis en tête de faire participer son Greffier au concours de chant d'oiseaux de la capitale, le fameux concours des Picolettes, faisait suivre à son protégé un régime draconien, censé lui ouvrir le pharynx et rendre propice les plus belles trilles qu'on ait jamais entendues sur l'archipel des Reliques. Chaque matin à 5h25 précises il lui administrait sa petite potion miracle (dont bien entendu personne ne pouvait avoir vent des composants).
Il n'était pas rare en plein tribunal de voir le juge clore les débats et toutes affaires cessantes se ruer vers la cage pour voir les progrès vocaux de Greffier et ses 13 cm de haut dans sa tentative de déchiffrer une dernière partition.
Et quand il se déplaçait dans son automobile la place du mort, la place à ses côtés à l'avant du véhicule, était réservée non pas à son épouse, mais au volatile, la prunelle de ses yeux, pour lequel décidément il était aux petits soins. Madame, une ancienne avocate au barreau des Reliques, reconvertie elle aussi bon gré mal gré aux délices de l'agriculture suite à la guerre civile qui avait dévasté son Macondo natal, un jour s'était mis en tête de se débarrasser de cette concurrente un peu trop envahissante à son goût, mais mal avait failli lui en prendre, Monsieur ayant menacé d'abandonner le domicile conjugal s'il devait un jour choisir entre l'un et l'autre dans ce ménage à trois un peu particulier. D'ailleurs Monsieur hésitait parfois entre une soirée aux côtés du Greffier et une soirée dans les bras de son épouse. Absurdité de la vie, n'est-ce pas.
Il est vrai qu'une harmonie parfaite régnait entre les deux êtres. Greffier avant même de sortir sa tête de l'oeuf qui l'enveloppait à sa naissance avait déjà été bercé par les sifflements de son maître qui l'avait lui même retrouvé un petit matin abandonné dans les broussailles. Après l'avoir couvé comme une mère, il l'avait élevé comme on élève la chair de sa chair, veillé à la moindre alerte, choyé, dorlotté, enfin il en avait fait un fils légitime et il ne manquait plus qu'à le coucher sur son testament pour qu'il fût enfin considéré comme son fils adoptif.
D'ailleurs Monsieur l'Inspecteur ne faisait pas de mystère : il se faisait vieux et il faudrait bien tôt ou tard veiller à la destinée de ce chérubin tombé du ciel qui allait maintenant sur ses 5 ans.
Cela faisait maintenant 20 ans que l'Inspecteur et son épouse, aprés avoir quitté Macondo, s'étaient retrouvé sur l'île de l'Epée, à Fonds Guatemala, où ils s'étaient reconvertis avec bonheur dans le commerce des fleurs exotiques coupées et avec le temps c'est leur fille ainée qui était devenue une spécialiste dans la fabrication de bouquets. Monsieur avait ainsi acquis 16 hectares de terre pour faire pousser ses héliconias, ses alpinias, ses balisiers, ses esterelizas, ses roses de porcelaines rouges et roses, ses anthuriums, ses orchidées tigrées, ses feuilles de multipliant mais il élevait aussi 100 poules, 40 cochons, une dizaine de cabris et s'était récemment essayé à la production de tomates et de piments. Aidé de ses 4 enfants et de son épouse il menait son affaire avec un sérieux et une dédication qui faisaient plaisir à voir.