4.8.11

Le Jardin des Simples de Mademoiselle Pepita


La Veuve Guimbo était cuisinière, mais pas n'importe quelle cuisinière, monsieur. Non, non, non! Avant la mort de son mari ce n'étaient guère que trois mètres sur quatre de carreaux de légumes et autres racines gourmandes qu'elle prélevait au gré de ses besoins et de ses envies. Un brin de persil par ci, une tige de citronnelle par là pour agrémenter les plats qui mijotaient dans la cuisine. Du temps de sa jeunesse seules comptaient dans le potager les plantes condimentaires: elle y avait planté ainsi de l'ail, des oignons, du persil, de la ciboule, de la ciboulette, du cerfeuil, de la vanille, de la girofle, du céleri, de la coriandre, de l'échalote, du cumin, de la moutarde, de l'origan, du piment café, du gingembre, du bois d'inde, de la noix muscade, du romarin, du safran, du serpolet, du thym et de la sauge. Car il est vrai que Pépita Sandragon, même si elle était loin d'être une maîtresse de maison accomplie, avait le don, hérité d'une kyrielle de vieilles grands-mères et arrière-grands-mères aux origines abracadabrantes, de marier entre eux feuilles, bourgeons, fleurs et racines, et ses sauces étaient comme des bouffées délicieuses de Paris qui par effluves venaient caresser le museau des passants de son quartier.
Ce n'est pas sans raison qu'on l'appelait jadis la femme-prototype, la femelle-aromate non pas de Kalakata, car l'appellation était désormais réservée à Flore de Sainte Rita, mais à l'Ile de l'Epée où se trouvait son domaine. Il y eut bien des moments où, découragée par les coups de boutoir d'un cyclone ou d'un soleil trop chaud, elle abandonnait le jardin à son sort, oh cela durait, quoi, deux mois, trois mois, une semaine, un Carême tout au plus quand il fallait arroser matin et soir, mais dès l'hivernage et ses pluies abondantes, elle se réveillait un beau matin tiraillée par des envies de rangement, de nettoyage de printemps et commençait à remettre le jardin en ordre de combat. Il fallait bien sûr retirer les mauvaises herbes, les brûler, bêcher, sarcler, labourer, biner les parcelles de terre du jardin.
Quand elle le parcourut pour la première fois à quatre pattes sous le regard de sa mère, Antonieta Wanda Sandragon, Maman Bise, qui veillait à ce qu'elle n'avale pas la terre, à l'âge de la mamelle, ce n'était alors guère plus qu'un jardinet de poupée, flanqué derrière le cabaret Le Ballet des Fleurs, qu'elle appelait pieusement presque en chuchotant pour on ne sait quelques obscures raisons l'Infirmerie. Mais Wanda Sandragon, propriétaire du Ballet des Fleurs, en digne commerçante et infirmière avisée, entreprit au fil des années et des acquisitions successives d'en faire un domaine qu'elle baptisa en l'honneur de sa fille de Jardin des Simples de mademoiselle Pepita . C'était alors un potager tiré au cordeau avec ses carreaux impeccables, un potager qui était un vrai miroir de propreté. Maman Wanda avait divisé l'enclos en neuf parterres. Il y avait le parterre des plantes aromatiques, le parterre des plantes condimentaires, celui des plantes magiques, celui des plantes médicinales, celui des plantes tinctoriales, celui des plantes consacrées à Marie, chacun de ces parterres contenant neuf carrés. Et au milieu de ces parcelles dans cet enclos de vingt ares, une serre pour les semis et les repiquages. Elle avait organisé enfin chacun des quatre-vingt-un carrés en fonction de l'usage final de chaque plante. Par exemple dans le parterre des plantes médicinales on trouvait un carré pour les fièvres et les refroidissements, un autre pour les maladies des femmes, un autre pour les maux de ventre, un autre encore pour l'hypertension et ainsi de suite ... dans ce jardin il y avait toujours un remède pour chacune des afflictions censées toucher la plupart des hommes et des femmes de la goutte aux hémorroïdes en passant par toutes les qualités de traumatismes susceptibles et imaginables. Dans le parterre des plantes condimentaires, il y avait le carré des desserts et celui des fruits de mer et crustacés, il y avait le carré des viandes blanches et celui des viandes rouges. C'était une organisation si poussée que même l'abbesse Hildegarde n'y aurait pas retrouvé son latin.. Tant et si bien qu'avant même que sa fille Pépita n'atteignît l'âge de seize ans le jardin de Wanda Sandragon était digne des plus grandes abbayes médiévales et même les étoiles quand elles flottaient au-dessus paraissaient toutes ébaubies devant le jardin  de la belle sauterelle.
Mais devant ce jardin à la française, devant cet ordre intemporel et cette sainteté parfaite la jeune Sandragon qui ne manquait pourtant pas d'appoint fut prise d'un ennui phénoménal: elle qui ne rêvait que de vertige se retrouvait propriétaire d'un cimetière semblait-il, un verger agencé en forme de croix. Elle entreprit donc d'agrémenter ce viridiarium tropical en y plantant des fleurs. Pourquoi ne pas joindre l'utile à l'agréable? Jouxtant cet enclos où il n'avait poussé jadis que des plantes condimentaires, des plantes médicinales, terrestres, aquatiques et hygrofiles, elle résolut de faire sinon un véritable jardin à l'anglaise, comme le lui proposaient certaines âmes charitables, mais un jardin à la mode des Reliques, tout simplement. Il fallut tout redessiner mais par petites touches, sans chamboulement, à partir d'une architecture secrète que seule elle pouvait maîtriser. Comme un peintre devant son canevas, elle brodait les pleins et les déliés d'une écriture cursive de graines et de racines, de tiges et d'écorces. Les sommités des fleurs et les boutons floraux devenaient des prolongements de son âme. En un hivernage son jardin devint méconnaissable. Les fleurs d'igname rivalisaient en beauté avec les fleurs de corossol et celles des arbres à pain. La feuille de cachiman coeur de boeuf  rivalisait de beauté avec la feuille de crête coq d'Inde. Parfums de feuilles et fleurs d'avocatier, effluves de manguiers et de pruniers d'Espagne se fondaient dans ceux des pommes-lianes et des racines de pourpier  bord de mer.  Mais sa fierté, sa signature, ce n'étaient ni les calebassiers ni les tamariniers royaux contre la constipation, ni les papayers mâles aux fleurs miraculeuses, ni les quénettiers dévoreurs d'eczéma, c'étaient ses cognassiers, les seuls et uniques exemplaires de tout l'archipel, protégés comme des trésors incas, avec chiens de garde et pièges de tout acabit capables de décourager chez n'importe quel garnement, chez  n'importe quel verrat, la moindre tentative de prélever un bout de branche capable de ressusciter ailleurs l'arbre prunelle de ses yeux. On venait des quatre coins de l'archipel pour goûter à sa confiture de coing délicatement parfumée et pour admirer, à distance comme il se doit, le galbe de ses arbres merveilleux que plus d'une lui jalousait.

13.6.11

L'ineffable odeur de peau de Flore de Sainte Rita


Tout le corps de Flore de Sainte Rita porte le cachet du surnaturel : quand elle entre en transe des abeilles mystérieuses, voltigeant autour de sa bouche entr'ouverte y entrent, viennent y cueillir le pollen et en ressortent sans lui faire aucun mal...Mais au delà du regard qui tend à s'attarder sur les formes rebondies de l'ensorceleuse, au delà du goût de sa langue, jardin secret de myrrhe et d'encens au milieu des corolles de jasmins odorants, c'est sa peau, le parfum de sa peau qui envoûte l'odorat, c'est sa peau, le parfum de sa peau dont la réputation des charmes a dépassé les limites de l'Autre Bord. Il faut avoir respiré, humé, inspiré la peau de la donzelle au moment de l'extase. Il s'en dégage une odeur ineffable, une odeur si inoubliable que quiconque a senti cette odeur en est à jamais rendu esclave. Oh la peau de Flore de Sainte Rita, on pourrait écrire tant de manuels de biologie que cela ne suffirait à décrire le tremblement de terre qu'occasionne dans les narines la simple évocation de ces effluves. C'est un parfum numineux...
On a bien dépêché des quatre coins du monde le ban et l'arrière-ban des plus fins limiers de l'industrie des parfums pour tenter de répliquer cette odeur divine réputée animale et boisée, oscillant constamment entre le musc et le bay-rum. Ils sont venus des quatre points cardinaux, d'Inde, de Marrakech, du Brésil et même des Iles-Unies pour tenter de synthétiser ce joyau aux 46 composants réputé aphrodisiaque mais Flore de Sainte Rita n'entre en transe que le mardi. Seul jusqu'à aujourd'hui le parfum Flore de Sainte Rita a su s'approcher de l'original. Il faut dire que son créateur n'est autre que Flore de Sainte Rita elle-même, la femme prototype de l'archipel des Reliques, la femelle aromate dont la chair d'orphie à maturité suscite les convoitises éternelles da la gent masculine qui l'a côtoyée.
On raconte donc que sous cette peau, cette chair angélique, mélange de peau d'orphie aux écailles chatoyantes et de peau de sirène, se trouverait une glande en forme de coeur qui conserve, tel chez un chevrotain porte-musc, un musc que même les muscs les plus musqués de Nankin et de Tonkin ne sauraient surpasser. Une analyse plus approfondie révèle cependant des milliers de chemins de traverse sous cette peau, des milliers de passerelles de boias d'Inde aqux saveurs de girofle, citronnelle et anis, qui mènent à autant de goufres béants, de précipices d'où jaillissent des sources chaudes comme des geysers de neige éternelle. Au microscope on voit parfaitement un enchevêtrement de réseaux tous reliés au coeur. Car la peau de Flore de Sainte Rita a l'odeur ineffable du coeur. L'odeur du coing et du coeur de palmier disent les mauvaises langues mais pour les inconditionnels pour les adeptes de sainte Rita il s'agit bel et simplement de l'odeur du coeur. Mais le coeur a-t-il une odeur ? Et si oui est-ce odeur de fruit vert, blet ou mûr ? Est-ce odeur de musc ou de bois d'Inde, de jaque dure ou de jaque molle ?

1.6.11

Le premier jour de la treizaine à l'Indicible

Cela faisait douze ans depuis son veuvage, depuis la disparition prématurée de son époux, parti trop jeune à l'âge de 36 ans, victime d'un cyclone. Mais en bonne dévote de l'Indicible, patron des cas désespérées, jamais Artémia Guimbo ne perdit vraiment patience. Alors que certains se contentaient de treizaines de 13 jours (optant même de réduire la treizaine en neuvaine) et que d'autres allaient jusqu'à prier treize mardis de suite, Artémia pensait que prier pendant treize mois d'affilée le saint patron n'était pas digne de sa cause qui était désespérée parmi les désespérées. Elle avait donc fait la promesse à l'Indicible de fermer son coeur à l'amour de soi, l'amour privatus, pour ne plus se consacrer qu'à l'amour jumeau, l'amour du prochain et l'amour de Dieu. Elle s'était retranchée dans sa béatitude et s'il ne s'était agi de ses filles elle y aurait terminé ses jours. Ces dernières qui grandissaient comme des fleurs à son image ne voyaient pas d'un bon oeil leur mère à la maturité glorieuse se confiner dans le pain rassis d'une vie certes captivante de professeur d'art floral, capable de vous égréner comme des litanies au bas mot 68 recettes de bouillons de feuillages mais incapable de répondre au désir ardent de ceux qui voulaient l'apprivoiser. 13 ans de ce régime sans feu et sans maïs arrivaient à leur échéance et Artémia était tout feu tout flamme, attentive aux mille manifestations du saint, cherchant à lire en tout phénomène des présages.
Dans treize jours c'en serait fini de cette vie de carème ... dans treize jours retentirait l'ego conjugo vos in matrimonio de monsieur l'abbé.... dans treize jours elle pourrait elle aussi défiler aux bras de son mustang...dans treize jours elle crèverait tendrement l'oeil au noirs oiseaux de malheur pour qu'ils lui chantent à l'unisson: "tu es fidèle seigneur, tu es fidèle seigneur...et dans treize jours elle leur répondrait sans sourciller: ton sang est mon sang et ton peuple est mon peuple......
Mais instantanément son corps commença à la tirailler de tous les côtés.

Hippolyte-Léon Deleuze Flammarion dit Ismaël et la Treizaine à Saint-Antoine-des-Divins-Plaisirs

L'ara cobalt de Flore de Sainte Rita, le dénommé Hippolyte-Léon Deleuze Flammarion appelé aussi Prince-Régent Ismaël, possédait un répertoire unique qui faisait la fierté de sa maîtresse. De son premier maître Arsène Tamarin, dit Boniface, dit le Commandeur, il avait appris tous les commandements du quadrille. C'était un vrai artiste, un Commandeur digne de toutes les légions d'honneur. Nul ne sut jamais comment il apprit le Cantique des cantiques. Ce que l'on sait c'est qu'au contact de Flore de Sainte Rita, bibliothécaire au Centre des Féticheuses Moisson d'Amour le matin, serveuse chez Boniface le soir, reine du Quadrille d'Or, l'ara cobalt était devenu un vrai recueil de prières volant. Il savait sans férir les prières générales, les prières pour soi-même, les prières pour autrui, les prières pour ceux qui ne sont plus sur la terre et les prières pour les malades et les obsédés. Il savait tout du gouvernement des esprits, savait les nommer tous du grand Patron au petit dernier. Imitait tam-tams et grelots on ne sait comment. Il aimait raconter comment la déesse des éclairs était venue le chercher à l'époque  où sa tête était devenue une plaie et qu'il était paralysé à la croisée des chemins.

Flore de Sainte Rita l'avait entraîné à se consacrer chaque matin à l'entretien avec les Anges Gardiens et les Esprits Protecteurs et avait pour lui faciliter la tâche divisé l'année liturgique comme pour elle en treizaines. Méthodiquement elle lui enseigna comme le recommandent les Esprits l'Oraison Dominicale simple et développée, lui fit goûter aux saveurs de la profession de foi, de l'adoration et de la soumission, lui inculqua le principe de charité. Puis elle entreprit de lui enseigner les prières de la Treizaine
Elle commençait ainsi le premier jour de la Treizaine:

Chers Soeurs et Frères, présentons à Jésus nos prières afin que, par l'intercession de Saint-Antoine, il répande sur nous Sa Miséricorde.
Ce sur quoi Hyppolite-Léon poursuivait:

1. Le Docteur évangélique
Saint-Antoine, tu as été proclamé Docteur de l'Église pour ta profonde sagesse de théologien, pour ton exemple de vie évangélique et pour ton zèle incomparable d'apôtre de l'Évangile. Obtiens-nous du Seigneur une foi forte, une vie droite, et rends-nous attentifs à l'enseignement de l'Église, notre Mère. Fais que notre vie soit conséquente avec la Foi que nous professons.

Gloire au Père.

Le lendemain c'était :

2. Le secours des mourants
Saint-Antoine, tu es allé vers la mort en chantant un hymne à la Vierge et en disant : " Je vois mon Seigneur. " Nous te prions de nous assister au dernier jour, de secourir ceux qui sont à l'agonie, et d'intercéder en faveur des âmes de nos parents et amis défunts.

Gloire au Père.

Le surlendemain c'était :

3. L'artisan de paix
Saint-Antoine, tu as été toute ta vie un artisan de paix. Viens au secours des victimes de la violence, du terrorisme et de la guerre. Dans un monde comme le nôtre, si plein de haine et de sang, fais que nous soyons toujours des témoins de la non-violence, de la paix et de la promotion humaine.

Gloire au Père.

Puis on avait:

4. L'ami du Christ
Saint-Antoine, toi qui as vaincu les tentations du démon par la puissance de la Croix, rends-nous forts et généreux pour résister au mal. Avec toi, puissions-nous être de vrais annonciateurs de l'Évangile.

Gloire au Père.

On continuait avec:

5. Le secours des malheureux
Saint-Antoine, toi qui as guéri tant de malades et tant de plaies, donne-nous le salut de l'âme et du corps. Intercède auprès du Seigneur pour la guérison et la santé de tous ceux qui ont demandé l'aide de nos prières, et rends-nous disponibles au service des malades, des personnes âgées et des handicapés.

Gloire au Père.

On arrivait alors au sixième jour:

6. Le marcheur de Dieu
Saint-Antoine, tu as longtemps marché sur les routes de France et d'Italie pour annoncer à tous le Royaume de Dieu. Sois le compagnon de notre pèlerinage terrestre. Protège les voyageurs, les routiers, les conducteurs, de tous les dangers de ce monde, pour que, d'étapes en étapes, ils parviennent au chemin du salut.

Gloire au Père.

Le septième jour c'était:

7. Le compagnon fidèle
Saint-Antoine, nous avons recours à toi quand nous perdons de petites choses et tu nous aides à les retrouver, pour notre paix et notre joie. Aide-nous surtout à demeurer fidèles dans les grandes choses. Fais que nous ne perdions rien de l'essentiel et que nous cherchions d'abord ce que Dieu Veut de meilleur pour chacun de nous.

Gloire au Père.

Le huitième jour:

8. Le maître spirituel
Saint-Antoine, grand maître de vie spirituelle, délivre-nous de la présomption de pouvoir vivre sans Dieu. Aide-nous à renouveler notre vie selon l'Esprit de l'Évangile et des Béatitudes, à donner le bon exemple, et à faire grandir spirituellement ceux qui vivent auprès de nous.

Gloire au Père.

La neuvième prière:

9. Le protecteur des enfants
Saint-Antoine, dont le cœur était rempli d'amour et de tendresse pour l'Enfant-Jésus que tu portais dans tes bras, bénis toutes nos familles et bénis nos enfants. Aide-les à grandir en sagesse, en taille et en grâce, devant Dieu et devant les hommes.

Gloire au Père.

La dixième prière:

10. Le réconciliateur
Saint-Antoine, toi qui, pendant ton ministère, as guidé et soutenu ceux qui venaient écouter ta parole, tu es devenu pour eux le serviteur de la Miséricorde de Dieu. Aide-nous à reconnaître nos fautes et à recevoir humblement le Sacrement de la Pénitence qui nous réconcilie avec Dieu et avec nos frères, dans un même amour.

Gloire au Père.

La onzième prière:

11. L'auteur sacré
Saint-Antoine, tu nous as laissé comme œuvre écrite deux recueils de "sermons", pour l'instruction et l'édification du peuple chrétien. Nous te prions pour ceux qui ont reçu vocation d'enseigner. Nous te prions aussi pour les responsables de presse et ceux qui ont la charge de l'information. Conscients de leur responsabilité, qu'ils recherchent sincèrement la vérité et la communiquent en toute charité.

Gloire au Père.

L'avant-dernière prière

12. Le défenseur des pauvres
Saint-Antoine, toi qui, durant ta vie, t'es toujours prodigué pour la libération des prisonniers et la défense du pauvre, fais que nous soyons attentifs au message de libération de l'Évangile, et que nous en vivions, pour nous-mêmes et pour les autres. Donne-nous le courage de protéger les faibles, les petits et les pauvres devant les injustices des puissants de ce monde.

Gloire au Père.

La treizième et dernière prière

13. Le serviteur de Marie
Saint-Antoine, puisque tu as si bien servi et glorifié sur terre la Vierge Marie, intercède auprès de son Cœur de Mère, pour qu'Elle nous donne toujours Jésus, Son Fils. Sur Son conseil et à ton exemple, que nous soyons généreux pour faire ce qu'Il nous dira.

Gloire au Père.

L'ara cobalt savait toutes les prières par coeur et il ne se passait pas un jour sans qu'il ne les récite à l'heure où retentissaient les matines. Il dormait alors perché sur un manguier qui se trouvait au fond de la cour de chez Flore de Sainte Rita. Oui, il y avait belle lurette que la volière avait été mise aux oubliettes. Monsieur Hippolyte-Léon Deleuze Flammarion était un oiseau libre et clairvoyant ! On raconte même que Flore de Sainte Rita lui donnait volontiers la becquée comme s'il se fut agi d'un oisillon coq en pâte. Elle lui concassait consciencieusement ses sept grains de maïs bleu, mastiquait tout cela jusqu'à en faire une pâté pour enfin régurgiter son hostie en bouillie dans le bec grand ouvert  de l'animal. Celui-ci dès lors pouvait intercéder mystiquement, invoquer les esprits, conjurer les mauvais sorts le corps enduit de kaolin et de farine. Les génies alors s'incarnaient en lui du génie de l'eau au génie du vent, du génie du feu au génie du tonnerre !
Vint le jour de triste mémoire où avant même les matines, un faucon le saisit par le collet et s'envola avec la ferme intention d'en faire son festin. Le volatile réveillé en sursaut cria d'une voix étranglée: Fleurisse, Fleurisse ! mais la pauvre Flore de Sainte Rita qui était en pleine transe à cette heure-là ne pouvait l'entendre. Il cria encore: Fleurisse, Fleurisse ! Les matines commencèrent à sonner. Flore de Sainte Rita écarquilla ses yeux immenses comme des pleines lunes ! La vision qu'elle eut devait la poursuivre jusqu'au trépas: elle vit le faucon emmener sa proie qui criait d'une voix bien distincte quoique légérement étranglée la dernière prière à Saint-Antoine-des-Divins-Plaisirs. Elle eut le temps d'entendre encore "Cavaliers aux....." mais le mot "Dames" s'évanouit dans la même éternité impitoyable que le Gloire au Père.

18.5.11

Le confessionnal bis

Il est de notoriété publique que sur la place des 14 il y a deux confessionnaux. Celui de l'église tout en rococo, un trois places en bois où, sous le sceau de la confession, le desservant du culte, le père Gaëtan y exerce le ministère de la réconciliation de façon héroïque et féconde, absout et dissout les péchés, procurant miséricorde, conseil et réconfort pŕesque dix-sept heures par jour selon les dires de la gouvernante du curé, qui du fond de son presbytère clame à qui veut l'entendre:
'Le père Gaëtan, c'est un saint, comme le bon curé d'Ars. Le confessionnal c'est sa maison.
Que Dieu vous pardonne ! C'est ainsi qu'il termine sa confession tout en sachant très bien qu'on va pécher encore et encore et il pardonne l'avenir par anticipation."
En pénitence poursuit-il, vous me direz deux Pater Noster puis vous laverez l'âme qui a servi à votre péché dans l'eau bénite de l'un des deux bénitiers situé de chaque côté de l'entrée.
Mais pour que l'absolution soit complète, pour que l'acte de contrition soit sincère il enjoint chaque pécheur à planter sept noyaux de jacque ou sept pépins de grenade qui après avoir été immergés dans l'eau bénite vont redonner à Kalakata des couleurs devant l'Eternel.
L'autre confessionnal c'est "Chez Boniface", siège de la Société des Ivrognes Patentés. C'est la chapelle que d'autres pénitents choisissent pour faire leur examen de conscience et leur acte de contrition. La tradition est même de veiller son cerceuil toute la nuit dans ce confessionnal jusqu'à ce que résonnent les matines et les laudes.
Sur le comptoir trônent deux cloches, répliques miniatures des deux cloches de l'église. Hermine, cloche de 614 kilos, qui sonne le fa, et Joséphine, cloche de 319 kilos, donnant le la et sur lesquelles sont inscrits le nom de l'évèque de Station Wolfork, le nom du curé de Kalakata, le nom du parrain et celui de la marraine sont remplacées par Théodore et Théodule, deux clochettes qui portent l'inscription suivante: "Je suis éternelle puisque fraternelle et toujours à Kalakata pour Saint-Antoine-des-Plaisirs-Divins je sonnerai". Et d'ailleurs à une certaine époque quand l'église menaçait ruine et qu'il y avait certains désagréments à prononcer la messe les jours de pluie c'est de ce confessionnal bis qu'on tira les ressources nécessaires. Mais néanmoins quand monseigneur l'Evèque se rend à Kalakata pour la Grand-Messe de Requiem pour le repos des âmes des cerceuils, l'établissement, tout confessionnal bis qu'il soit, baisse le rideau le temps de la Grand-Messe de Requiem jusqu'à la deuxième absoute au cimetière. Car de même qu'à l'église la règle est que dans ce temps de pénitence et d'affliction qu'est la Grande-Messe de Requiem on ne tolérerait en aucun cas un morceau d'orgue, ni en accompagnement ni en solo, les clients, tout maître suceurs de canne qu'ils soient, ont aussi leurs codes et leurs lois et parmi ceux-ci il y avait: Entre l'église et le cimetière nous sommes tous sur le même canot. La procession des cercueils c'est l'occasion de se refaire à peu de frais peau neuve et accessoirement âme neuve. Un espace captif leur est ainsi réservé, le jour de la procession des cercueils, sur la dernière travée de l'église, car c'est au sein de la Lyre de la Société des Ivrognes Patentés qu'ils prêtent hommage aux âmes des défunts et qu'ils assistent comme tout un chacun à la grand-messe de Requiem. Comme tout un chacun ils fredonnent les 19 versets de "Dies Irae" chanté par le choeur, prononcent leur "Dona eis requiem" et leur "Eis requiem sempiternam" à l'unisson. Au chant du propre de l'Offertoire on les voit entonner a capella "Ego sum" avec le cantique "Benedictus" et les versets qui suivent. A la fin de la messe le célébrant s'en va à la banquette, défait sa chasuble et endosse la chape avant de s'approcher du catafalque pour donner la première absoute. Après la prière de Monseigneur, le "Non Intres", le choeur entonne le répons "Libera me Domine" et les versets qui suivent. Quand finalement les corps sortent de l'église pleine à craquer et que le choeur commence à chanter l'antiphone "In Paradisium", les deux confessionaux et leurs pénitents se retrouvent pêle-mêle tous unis dans un même élan portés par le choeur qui accompagne la procession au cimetière pour la seconde absoute. Aprés une dernière aspersion, vient l'encensement et chacun vaque à ses occupations conscient du devoir accompli. Et les Ivrognes Patentés peuvent rejoindre leur confessional bis.

15.5.11

La Congrégation des Veuves de Ti-Zoulou

En tant que membre de la Congrégation des Veuves de Ti-Zoulou, mieux encore en tant que chef de Septaine de cette confrérie dont la dévotion consistait à faire une fois par semaine le Chemin de la Croix, à tour de rôle de telle manière qu'il en ait un au moins de fait chaque jour sans interruption, Artémia, dont le jour était le mardi, était exemplaire. Pas un mardi où, en état de grâce, contrite de ses péchés et décidée de demeurer fidèle à Son Seigneur, elle ne s'acquittât de ses obligations, pas un mardi où elle ne trottinât d'un pied de la croix à l'autre, d'une station á l'autre le long des 3320 pas de la Voie Douloureuse comme une femelle raccoon diligente en quête de miel, comme un cabri en quête de pâturage entre les quatorze stations et le maître-autel. Et quand bien même elle fût malade elle ne se dérobait pas et faisant fi du privilège de prier devant un crucifix indulgencié en récitant un petit acte de contriction ou le verset: "Te, ergo, quoesumus, familis tuis submemi, quos pretioso sanguine tedemisti" comme le permettait Sa Sainteté le Pape, elle se rendait religieusement à l'église pour accomplir son devoir avec la certitude que le jour où elle quitterait ce monde ce serait en odeur de sainteté. Elle avait ainsi emmagasiné des milliers des milliers et des milliers d'années d'indulgences plénières et des centaines de milliers d'années d'indulgences partielles mais la grâce qui surpassait toutes les autres c'était l'Absolution Générale qu'elle recevait jusqu'à 36 fois par an et par laquelle on lui restituait l'innocence du baptême et où elle recevait la Très-Sainte Eucharistie comme s'il se fût agi d'une cuillère de confiture de banane. Sans compter qu'elle devait bien plus qu'à son tour remplacer au pied levé au pied de la Croix de Jean-Zoulou XXIX l'un, alité, ou l'autre en déplacement. Tout ça valait bien un océan infini de miséricordes. Le mardi c'étaient des milliers d'âmes qu'elle allait délivrer du Purgatoire et même si toutes ces activités ne faisaient pas d'elle une Sainte Clarisse, elle n'en était pas moins la plus fameuse pénitente de la paroisse de Kalakata et de toutes les autres paroisses des Reliques Unies.
Comme tous les membres de la Congrégation elle se devait de porter autour du cou un chapelet séraphique, symbole de pénitence, pauvreté et chasteté. On pouvait porter le chapelet sur la chemise. Le cordon pouvait être de fil, de coton, de lin ou de chanvre, en soie ou en ruban de corde nouée de couleur blanche et on ne devait le quitter qu'en cas de nécessité, pour le reprendre dès que cela redevenait possible. Quant aux grains de cette patenôtre séraphique ils pouvaient être d'os ou de corne, de corail ou de nacre, d'ambre ou de jais, de bois ou de cristal de roche avec des grosses perles pour marquer les décades en ambre ou en corail ou en perle précieuse comme l'émeraude, l'améthiste, le saphir, l'or ou l'argent. et pour couronner le tout un ou deux pompons rouges.

La Congrégation des Veuves de Ti-Zoulou se partageait en séries de deux sortes: les Septaines, ceux qui s'engageaient à faire un Chemin de la Croix par semaine à tour de rôle et les Trentaines, ceux qui promettaient d'assurer un Chemin de la Croix par mois. Chaque Paroisse de l'Archipel des Iles-Unies des Reliques formait en moyenne entre 3 et 4 septaines et 4 et 5 trentaines, ce qui garantissait 7 chemins de la Croix chaque jour dans chaque paroisse. Pour faire partie de la Confrérie on devait verser aussi un tafia dans le cas des membres de Trentaines et 4 tafias dans le cadre des Septaines pour l'acquit des messes.

La Confrérie s'était placée sous le patronage principal de Saint-Antoine-des-Plaisirs-Divins (dont la solennité est fixée le 13 juin)et sous le patronage secondaire de Saint Pantaléon et de Saint Léonard de Port-Maurice.
Sa Sainteté le Pape avait accordé une indulgence plénière aux conditions ordinaires de la confession et de la communion aux jours suivants, savoir:
1) le jour de l'entrée dans la Confrérie
2)`à l'article de la mort
3) le jour de la fête patronale de la Confrérie, le 13 juin
4) le jour de la fête de Saint Pantaléon le dernier dimanche de juillet
5) le jour de la fête de Saint Léonard de Port-Maurice le 26 novembre
En outre de ces indulgences les associés jouissaient encore des avantages suivants:
1) Une messe en entrant dans la confrérie pour la bonne mort du premier de la série qui laissera cette vie
2) A la mort une messe avec une communion un Chemin de la Croix de tous les associés de la série

Les fêtes spéciales de la Confrérie sont le Vendredi Saint, l'Invention de la Sainte Croix (le 3 mai), l'Exaltation de la Sainte Croix (le 14 septembre).
Les huit fêtes suivantes instituées par l'Eglise dans un but de réparation, les mystères et les instruments de la Passion de Notre Seigneur font l'objet d'une dévotion toute particulière et sont célèbrées par la réception de la Sainte Communion:
1) L'oraison de Notre Seigneur au Jardin des Oliviers (le mardi après la Septuagésime)
2) La commémoration de la Passion, le mardi après la Sexagésime
3) La Sainte Couronne d'Epines, le vendredi après la Quinquagésime
4) La Lance et les Clous, le premier vendredi de Carême
5) Le Saint-Suaire, le second vendredi de Carême
6) Les Cinq-Plaies, le troisième vendredi de Carême
7) Le Précieux Sang, le quatrième vendredi de Carême et le premier dimanche de juillet
8) Le Sacré-Coeur, le vendredi après l'octave du saint-Sacrement
Quant aux 36 jours d'Absolution Générale c'étaient:
le jour de l'Immaculée-Conception, à Noël, à la Circoncision, à l'Epiphanie, à la Purification, à la Saint-Joseph, à l'Annonciation, au dimanche des Rameaux, à chacun des jours de la Semaine-Sainte, au Dimanche de Pâques, à l'Ascension, à la Pentecôte, à la Trinité, à la Fête-Dieu, à la fête du Sacré-Cœur, le 21 juin, (en mémoire de l'anniversaire de l'entrée du Pape Pie IX dans le Tiers-Ordre), à la Saint-Pierre, à la Visitation, à la fête de Sainte-Claire (le 12 août), à l'Assomption, à la Saint-Louis, à la Nativité, à la Saint-François (le 4 octobre), à la Toussaint, à la fête de Sainte-Elizabeth de Hongrie (le 19 novembre), à la Présentation, et enfin, le 25 novembre, à la fête de Sainte Catherine, vierge et martyre. En outre, on pouvait recevoir l'Absolution générale quatre fois encore par an, n'importe quel jour, et ces quatre jours-là on recevait de plus la Bénédiction Papale, comme au 21 juin: en tout trente-six fois par an.

5.4.11

Mes lèvres verront le miel prendre le goût du ciel

Tout commença par un subtil bruissement, sans que l'on sache véritablement s'il s'agissait d'ailes, de vent s'engouffrant sous les feuilles ou de lames de mer s'écrasant en douceur sur les plages de sable volcanique dans le lointain d'Entre-Deux-Morts. Wolfork fut pris d'un murmure qui enfla, s'amplifia et éclata en mille trilles souterraines jusqu'à prendre possession de l'espace tout entier, jusqu'à isoler la Place des Quatorze-Saints qui soudain prit les allures de l'abysse. Décidément ce ne serait pas un jour banal...Il était 4 heures du matin: entre chien et loup, la place affichait sa nature exubérante habituelle avec ses quatorze saints intercesseurs: Blaise, son manguier, Acace, son jacquier, Catherine d'Alexandrie, son cocotier, Marguerite d'Antioche, son néflier, Eustache, son pied de corossol, Gilles, le letchi, Barbe, son cacaoyer, Christophe, le jambosier, Cyriaque, l'acajou à pommes, Denis, le tamarinier, Erasme, le carambolier, Georges, le bananier, et Pantaléon, l'Indicible, le Maître Intercesseur en Personne et leur marmaille d' abeilles indigènes sans dard qui voluptueusement allaient butinant de pistil en étamine, pollinisant á qui mieux mieux...Perchée au plus haut des cieux de l'Intercesseur en Personne, la Veuve Eternel proférait depuis douze jours ses incantations funèbres, vendant aux enchères à coups de marteau les toutes dernières places du Paradis à qui voulait bien l'entendre. Dans ces longues imprécations elle vouait Untel à la Géhenne, Unetelle au Purgatoire car pour siéger au Paradis à la droite de l'Homme aux Clés, plus personne à ses yeux n'en était digne à Wolfork, qu'elle qualifiait à tout bout de champ d'Ile des Martyrs. On s'était tellement habitué à la distribution d'injures et de damnations que Veuve Eternel et Place des Quatorze étaient devenus presque synonymes. Elle faisait partie du paysage. Depuis douze jours, peuchère...Sans elle la place aurait paru presque dépeuplée, voire anachronique.
"En vérité, en vérité, je vous le dis, au Paradis seul un animal à pattes réussit à pousser c'est le crabe. Au Paradis il n'y a pas de vache. il n'y a pas de lait. Au Paradis il n'y aura pas de thé, pas d'eau de coco, pas de café je vous préviens. Au Paradis seule pousse la vanille, il n'y en a que pour la vanille. Au Paradis il n'y a qu'un animal à ailes et c'est l'abeille sans dard. Et pourquoi me direz-vous ? Parce que comme le crabe elle s'est adaptée. C'est pour cette raison qu'aujourd'hui je mets en vente pour les plus méritants une place réservée á la droite de l'Homme aux Clefs. Aujourd'hui c'est la dernière. Il n' en aura plus sur le marché et alors vous aurez beau venir me supplier, il n'y en aura plus. Alors qui est preneur ? Une place lumineuse à la droite du Concierge... Un, deux, trois, adjugé.. vendu à moi-même et à ma descendance, moi Artémia Guimbo, épouse légitime de Victor-Solange Eternel, dit Eternel XXIX".
Et c'est ainsi que la Veuve Eternel s'était auto-attribué les trois quarts des places disponibles à droite au Paradis pour elle et sa progéniture.
Depuis 12 jours elle s'était installée au faîte de Pantaléon, y avait élu domicile et ne s'en éloignait semble-t-il qu'au beau milieu de la nuit pour accomplir, murmurait-on, basse besogne sur basse besogne. Rien de trop catholique, en tout cas. A Wolfork qui ne connaissait les hauts faits et gestes d'Artémia Guimbo dite la Veuve Eternel qui au prix d'épousailles carnavalesques avait eu le toupet de prendre pour mari un mardi de Saint Antoine un cyclone sans devant ni derrière, un fantoche sans gamme ?...Douze jours qu'elle n'était apparue à la devanture de sa boutique de simples qui était devenue une seule pourriture de feuilles, de sortilèges, d'onguents, d'écorces et de peaux animales.
Et pourtant allez comprendre ! Depuis douze jours, malgré la dérade évidente, c'était une femme impeccable qui se présentait sur l'ostensoir des arbres: toujours sur son 31, lançant ses imprécations comme des cerfs-volants au-dessus de la canopée... Douze jours de déraison ! Douze ans d'errance ! Douze jours de déraille ! La veille elle les avait pourtant prévenus ! Elle avait dit sur le ton de la confidence, en gloussant presque: "Demain, bande de verrats, tous autant cancrelats et ravettes que vous êtes, vous allez voir.... Demain mes lèvres verront le miel prendre le goût du ciel!"
Mais ces termes quelque peu sybillins étaient passés comme du vent entre les oreilles de sassafras de tout un chacun. Elle s'insurgeait: "Vous courez dans le vide comme des poulets sant tête mais ne dites pas que je ne vous ai pas prévenus."
Quatre heures du matin ! Le premier chant du coq passa inaperçu surpassé par le vacarme tonitruant d'une colonie d'abeilles sans dard de toutes qualités qui se mirent au garde-à-vous au sommet de l'arbre happé dans un rayon de lune pendant que jaillissaient des mangroves adjacentes des colonies entières, des grappes de crabes et tourteaux de tout acabit, Rois Mages silencieux qui vinrent eux aussi se mettre au garde-à-vous dans l'attente d'un dénouement. Ce fut un vrai charivari. C'est sous cette nuée ardente d'abeilles sans dard et de crabes sans barbe tous unis dans un même élan que naquit en ce treize juin la princesse héritière Maria-Ondine Guimbo Mandaçaia, dite Dalila.
Le père Gaetan, prêtre Tertiaire de Saint François, releva le lendemain matin au pied l'Indicible pèle-mèle les cadavres enchevêtrés et disloqués comme après le passage d'un tsunami de milliers de tubunas, crabes matous, uruçus, mirins, crabes ciriques,gaiamuns, bouches de grenouilles, iraís, jandaíras, crabes araignées, crabes bleus, crabes cailloux, jandaís, boras, guaraipos, jataís, irupuás, tiubas, tubis et crabes des cocotiers... Un vrai calalou de crabes et d'abeilles.
Ce matin-là la Veuve Eternel rentra chez elle comme si de rien n'était, et après avoir débarrassé l'enfant de sa gangue de miel et de graisse de crabe la rinça dans sept lames de mer à hauteur du village de Pituba.