25.4.07

Anita Solar Smith y Sanchez Calvo

[Nezinho Duda - Praia]

Fantasque, foisonnante, dense, très dense, amoureuse, telle était Anita Solar Smith y Sanchez Calvo. Ses amours tumultueuses et singulières avec l'ex-prince Régent Ismaël avaient certes contribué à sa légende. Ne racontait-on pas, lors de ces messes basses qui consistent à raconter la vie d'autrui sous toutes les coutures, que cette femme possédait toutes les qualités et toutes les bassesses qui font qu'une femme est femme. Alors que d'autres avançaient leur corps comme une antre à exploiter, comme une carrière profonde riche en minéraux de tout type de tendresse, alors que d'autres encore avançaient leur chevelure comme un radeau de méduses charmeuses et envoutantes vous faisant la promesse de Charybe et de Sylla, la fantasque, foisonnante, dense, très dense, l'amoureuse, bavarde et passionnée Anita Solar Smith y Sanchez Calvo resplendissait par la beauté d'un Verbe tourbillonnant, fruit d'une combinaison privilégiée de thorax, larynx et cordes vocales...On raconte qu'au son de sa voix les pétales de rose pouvaient passer du jaune au carmin et vice-versa. C'était une voix venue du tréfonds de la terre. C'était une voix parfumée d'humus et de cailloux, et de restes de coléoptères décomposés. On y trouvait même des senteurs de libellule et une analyse plus fine au spectromètre aurait sans doute révélé dans cette voix chaude et profonde les traces d'embruns de la baie qui l'avait vu naître... A vrai dire nul ne savait vraiment d'où venait la fantasque, foisonnante, dense, très dense, l'amoureuse Anita Solar Smith y Sanchez Calvo ! Elle parlait parfois d'une baie, merveille des merveilles, cinquième au monde pour l'amplitude de ses marées, où les eaux n'étaient que soupirs, silences et bécarres et où on baptisait les bateaux avec du Champagne et non comme sur les Reliques avec du bon rhum agricole ! Elle parlait, elle parlait et quand elle parlait plus rien ne pouvait l'arrêter. Elle racontait alors la douceur de l'écume quand le flot est au jusant, ses yeux prenaient alors la forme de poissons volants aux ouïes phosphorescentes et si l'on ne détournait pas les yeux on serait sans doute emporté par le flot de ses contes, de ses racontages, de ses histoires. Jouez hautbois, résonnez musettes ! Certains croyaient savoir que l'étrangère était venue sur l'île pour noyer un grand chagrin d'amour. D'autres encore juraient qu'elle leur avait fait la confidence qu'au contraire elle avait atterri sur l'archipel par hasard alors qu'elle était à la recherche des traces de celle qui était à l'origine de son nom Anita, la grande actrice argentine Anita Campillo. Anita Campillo, actrice qui avait côtoyé aussi bien Gardel dans la comédie musicale Custa Abajo où elle jouait le rôle de Rosa que le Duke, John Wayne, dans l'Homme de l'Utah où elle jouait le rôle de Dolorès, Anita Campillo qui avait tant fasciné son père en 1934 dans la Croix et l'Epée qu'il avait jugé bon de lui transmettre ce prénom de star. Anita ! Anita ! Elle savait par coeur, à force d'avoir entendu son père les fredonner, Amor de estudante, Por tu boca roja, Criollita deci que si, Cuesta abajo et Mi Buenos Aires querido. Certains en vinrent à appeler Anita la Femme de l'Utah, ou la Dolorès et même Rosanita Gardel à cause de cette voix reconnaissable entre toutes. Ce qui est sûr est que l'actrice, quoi qu'elle s'en défende, menait grand train et faisait monter le mercure à des hauteurs insoupçonnées dans le baromètre intime de ceux qui eurent jamais le privilège de la côtoyer, aidée en cela par non seulement cette voix exceptionnelle mais aussi par un arrière-train au gabarit phénoménal, arrière-train si bavard lui aussi qu'il semblait déclamer à longueur d'année ce refrain : "La primavera, la sangre altera".

Un mois après son arrivée à Station Wolfork en 1952 à l'âge de dix-huit ans, elle décida de s'installer et d'y créer, soutenue en cela par l'ex-Prince Régent Ismaël, une compagnie théâtrale, la première qui ait jamais existé sur l'archipel, le Théâtre des Iles-Unies...