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Le ciel était étale, la mer coquette et coquine, la lune se présentait fraîche et dispose dans son jardin aux portes de la nuit polissonne. Qu’elle recouvre son bien, ses deux yeux en état de splendeur originelle ! Elle était même prête à transiger ! Qu’elle récupère ne serait-ce que l’un des deux et dans douze jours Mademoiselle la Chevalière toute entière allégée, s'acquitterait de ses voeux, la tête reposant à vingt degrés sur l’oreiller, promenée dans son cercueil chargé de gerbes de gardénias, de frangipaniers, de tubéreuses, d’arums, de bougainvillées blanches, de lys trompettes. Ô Gloria, quel cocktail de blancheur ! Et il ne faudrait pas oublier non plus, pour que le bonheur soit complet, des fleurs de corossol, de sandragons, de bonnets d’évêque, de yucca, de glycérine et de cactus ! Mais pour cela il fallait d’abord que l'Intercesseur intercède ne sa faveur pour que son voeu se réalise et quant à le réaliser c’était une autre paire de manches ! Ce que femme veut, Dieu le veut, ne dit-on pas ? Et Dieu lui-même n’est-il pas limité par ces deux lettres D, U, DU ? Oui, à la femme tout est dû. Il n’y avait année A, année C, année B qui tienne ! N’avait-elle pas elle-même décrété de sa toute puissance pontificale l’année K ? Et il était hors de question qu’elle abdique de ses droits d’autant plus qu’elle avait eu la délicatesse de se dédouaner par avance en lui faisant la promesse de défiler en cercueil décoratif au vu et au su de la population. Etait-ce la mer à boire ? Demandait-elle l’impossible ? Question d’habitude, elle se surprit à scruter de son ancien oeil valide, celui de gauche, le coeur du ciel, histoire de prendre le pouls de la bête : la girouette en fer-blanc en forme de lampe-tempête placée en sentinelle au faîte du portail des Tito-Dandy, charpentiers de marine de père en fils, demeurait impassible, aux aguets entre chien et loup malgré la pluie indécrottable qui exhalait son haleine multicolore.
Un “Santa Maria Regina Extra Muros, ora pro nobis” entonné tout à trac par les mille chauves-souris, criquets, sauterelles, grillons et grenouilles de la confrérie du souffle sous la nuit éclairée par les feux d’artifice du visiteur hypnotique, figea Mademoiselle la Chevalière dans son pas comme dans son sang qui battait comme un tambour d’appel pendant que défilait dans son esprit le cortège kaléidoscopique du ite missa est : le bedeau claudiquant au bicorne noir bordé de ruban doré brandissant aux cieux sa bannière clamant haut et fort en lettres de feu sinon l’innocence du moins la légèreté, la résistance, la stabilité des chantres, des enfants de choeur, du clergé dans toute sa splendeur crépusculaire de bonnets rouges et de dentelles. L’envie lui prit dare-dare de faire marche arrière, de rebrousser chemin et de réintégrer la belle ordonnance de la sérénade de cloches qui explosaient comme des pétards contre vents et marées pour éloigner d’invisibles sabbats. Le chant de terre de l’harmonium, chant roboratif de ferveur et de recueillement porté par des mâchoires plus puissantes que celles d’ocelots, caïmans et jaguars réunis, fusait, compact et visqueux, se gaussant de l’ombre, broyant toute velléité de résistance de ses coups d’encensoir. De bâbord et de tribord surgirent les neuf qualités de choeurs d'anges tous mélangés dans un beau désordre : séraphins, vertus, trônes, puissances, archanges, chérubins, anges, principautés, dominations tous unis dans une même débandade ! Une insoutenable pestilence tantôt de rhum-piment tantôt de kérozène lui chatouilla les narines. Etait-ce proximité du cimetière ou odeur de sainteté ? Ou tout simplement chaleur, chaleur ? Toujours est-il qu’elle se mit à chanter elle aussi :
“Cher petit papa, c’est aujourd’hui ta fête. Maman m’a dit que tu ne serais pas là. J’avais des fleurs pour couronner ta tête, Un doux baiser pour réchauffer ton coeur. Adieu mon encrier, ma plume et mon crayon. C’est ce maudit Grammaire qui m’a fait tant pleurer. Gai gai gai sous le gué Gai gai gai sous le gué...”
Le vent de mer prodigue en invitations olfactives trouait la nuit et ne lui laissa pas le temps de se perdre en conjectures.
“Je me présente Victor-Solange Eternel, Sosso pour les intimes, Chevalier Cyclone, Baron Doc, Esclave Samedi, Eternel XXIX, pour vous servir, sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in saecola saeculorum, Amen. Tu es des nôtres, femelle crabe-abeille !”, lui souffla-t-il de ses lèvres doubles, abandonnant ses pas feutrés de chasseur à l’affût. Et, illico presto, il l’initia sans plus attendre à la danse du ventre au rythme lent et lancinant de l’orchestre invisible mais omniprésent des musiciens de la nuit.
“Ceci est mon corps, ceci est mon sang !”, décréta le félin volant, portant haut de forme blanc, costume queue de pie blanc virginal, jabot de dentelle blanche et deux paires de lunettes de soleil, le menton levé à angle droit, une main offerte à hauteur de sa joue de bufflesse concentrée sur la musique, l’autre prête à saisir un tour de taille et des hanches d’ex-sylphide. Oh... Elle ne pouvait pas détacher les yeux de ce bras de cuivre, si souple et si ferme en même temps, bras de chevalier rompu au maniement d'armes de tout acabit, grand manieur de pelles, de pioches et de houes, ce bras parsemé de poils blancs qui ressemblaient à des crinières de chevaux d'écume de mer... ce bras en même temps immobile et virevoltant qui lui faisait miroiter au museau des agapes de haute voltige ! Ne vous méprenez pas ! Elle sut garder la pose de pénitente et continua d’égrener délicatement les quatre rangées de neuf grains de son chapelet en grande dévotion à son protecteur Saint-Antoine-des-Divins-Plaisirs sans en démordre tout en se maniant l’arrière-train devant le solo de calebasse de l’insatiable équarrisseur de pierre qui voltigeait, gravant ses plages dans les gravats dans un jeu élaboré de construction-destruction-reconstruction d’un do do la si do naturel, fil conducteur tonal transgressé mais jamais rompu par le corps transparent de ce danseur-dieu de classe quatre puissance quatre qui tentait de rivaliser avec le bruit de la pluie. Servir de bâton de vieillesse, de Demoiselle Brigitte, à ce fossile aux jarrets fripés, à ce Solange Jolly Roger connu ni d’Eve ni d’Adam, à ce zazou des airs prétentieux, esclave non affranchi par dessus-ça, ah, ça non, elle s’y refusait catégoriquement... Et pourtant... Ainsi fut-il ! Elle nageait sur le dos... Comment ça ? Elle était en nage ... La nage perpétuelle à sec sous la houlette de cette kyrielle de frémissements goulus... A quel sens se vouer si quelque part sous les décombres sous les coups de têtu un coeur tacheté ronfle, somnole et brûle au-delà des convenances de perdre contenance, de se trouver proie nue nez à nez avec le tout-venant, dans la jungle accidentelle où foisonnent contre vents et marées les amours à l’aveuglette.
“Ô Reine, Notre Duc !
Regarde la maladie de ton coeur
Le chaos va te ballotter !” fit encore après deux mots, trois paroles et quatre pirouettes le dénommé Solange, l'Inimitable, un vent préhistorique certainement rare comme un nègre marron aux yeux bleus vu la peau de corail et les cheveux de sisal tressés comme des éventails de gorgones que le quidam arborait. Monsieur faisait le Dandy avec ses trois paires de lunettes mais monsieur, malgré sa haute naissance, malgré sa noblesse de canne, n'avait même pas jugé bon d'en réparer les verres droits qui étaient tout fêlés.....
Regarde la maladie de ton coeur
Le chaos va te ballotter !” fit encore après deux mots, trois paroles et quatre pirouettes le dénommé Solange, l'Inimitable, un vent préhistorique certainement rare comme un nègre marron aux yeux bleus vu la peau de corail et les cheveux de sisal tressés comme des éventails de gorgones que le quidam arborait. Monsieur faisait le Dandy avec ses trois paires de lunettes mais monsieur, malgré sa haute naissance, malgré sa noblesse de canne, n'avait même pas jugé bon d'en réparer les verres droits qui étaient tout fêlés.....
“Le chaos va te dorloter !
Ta maladie est incurable
Mais le chaos va l’engloutir !”
Ta maladie est incurable
Mais le chaos va l’engloutir !”
Séance tenante, elle toisa d’un regard d’aristocrate le courant d’air fait maringouin à douze orteils, dévisagea son pedigree de la tête aux pieds sans oublier ne serait-ce qu’un instant l’entrejambe du short cintré où ses jambes fines comme des baguettes de jazz flottaient vime vime dans l’air saturé d’iode. Elle s’attarda, malgré le ballet pyrotechnique qui avait pris possession de ses entrailles, sur la fesse droite et pommée de l'être de dieu qu’elle imaginait plus volontiers mordue en tous sens par les mâchoires de molosses enragés à la poursuite tatouée d’armoiries reproduisant à l’infini la boursouflure du coq qui montait la garde dans les contreforts et qui gonflait prêt à mordre comme du vent frénétique dans ses voiles. Elle eut tout le loisir de jauger l’évolution de la terre promise, soupeser par anticipation les grains bien accrochés à la rafle, d’un regard sous vide d’une indécence qui la surprit elle-même. Cela se termina au bout d’une éternité par une moue ravageuse et stridente :
“Solange, mon ange, avec tes oreilles de racoon à double phalange tu as plus de vice qu’un piano à vis américain !”
Aïe aïe aïe ! Que n’avait-elle pas dit là ? En moins de temps qu’il n’en eût fallu pour dire ouf, zut, flûte, clarinette, la pluie qui paraissait réglée comme du papier à musique se transforma en un festival impromptu d’avalanche humide sans ne serait-ce qu’un “pardon, chien”, “au revoir, ma tante”, “je te verrai demain s’il plaît à Dieu”, “sonnez clochettes, bourdons et carillons”, "préparez fanfares et tréteaux", “à l’attaque”. Rien, rien, rien. Pas même un "bonjour la société !". Pas même un "La cour dort ?"
Sans crier gare, sans un cric, sans un crac, sans même prendre le temps de ramasser ses cliques et ses claques, comme une voleuse à l’arraché au beau milieu d'un océan de flaques, la lune blêmit d’un blême tellement blême qu’elle faillit trébucher de son strapontin toute nue dans la mer d’Entre-Deux-Morts qui brûlait comme un cierge. Mais elle sut se rattraper à temps de ce mauvais pas, se récupéra en boitillant pour finalement faire silence, entraînant dans le sillage de sa houppelande la galerie toute entière échaudée de la gent à six pattes, chenilles, oeufs, cocons, imagos, jeunes, adultes, vieillards et autres accointances. Tout ce beau monde se mit de but en blanc à danser furieusement des yeux et des crocs, fouillant les entrailles du ciel, y cherchant quelque bon présage, quelque éclipse solaire. Quelqu’un quelque part allait mourir de sa belle et sérénissime mort sous la cognée de ces nuages nourriciers jaune amaryllis tout saouls de rhum et de madère, parmi lesquels zigzaguait une lune grasse comme une loche, bleue, bleue, bleue, démaillée, flagellée et couronnée d’épines, tout à coup invisible, comme sabrée, prise en souricière, muselée et mise en laisse par le calme plat d’un sextuet de vents déterminés à l’engrosser dans le grand cul-de-sac marin du fin fond de la nuit. Quelqu'un allait quitter cette vallée de larmes et rentrer dans la maison du Père !
“Victoire, tu régneras ! Ô Croix, tu nous sauveras !”
Mais voilà que Victor-Solange surgissait du diable vauvert et entamait à son tour sa terrible ritournelle :
“Cyclone, tu régneras ! Chaos, tu nous sauveras !”
Du jamais vu à la cour de Kalakata : un cyclone en pleine ouverture de la Treizaine à l'Indicible ! Oui , Messieurs, et pour couronner le tout, à douze jours de la procession des cercueils ! Je me répète ! Un cyclone en pleine Treizaine à l'Indicible en Personne ! Voilà qui risque sans doute de vous ébahir, hommes de peu de foi, à qui on ne la fait pas. N’exerçant leur pression dans l’hémisphère Nord que d’août à septembre, voire en octobre-novembre, jamais un cyclone n'avait osé ! Quelle audace, quel culot, quel toupet et quelle absence de délicatesse ! En quatre siècles d'histoire s'attaquer à la Treizaine à l'Indicible! C'est proprement invraisemblable, vous avez raison. Et pourtant je vous assure que malgré l’invraisemblance Mademoiselle n’avait pas le coeur à plaisanter. Au grand dam de la demoiselle, appelés de toute urgence par litanies interposées à la rescousse à son chevet, cyclonologues et autres prévisionnistes du monde entier rassemblés en conclave pour statuer sur les éventuelles mesures à prendre avant, pendant et après l’inéluctable et imminente déflagration, lui conseillèrent à l'unanimité de prendre le dernier sacrement.
Car il ne manquait plus qu’à étamper la lune, arbitre traquée qui, sans broncher, trois doigts sur la taille, écarquillant les yeux, cherchait à tout-va la confluence du Gange et du Mississipi en attendant de voir la tournure qu’allaient prendre les événements, prise au dépourvu qu’elle était par cet historique guet-apens ourdi par
un eunuque noir
émasculé,
trublion
machiavélique dont on avait mis en doute
la virilité.
“Rayonne sur le monde
Qui cherche la vérité,
Ô Croix, source féconde
D’amour et de vérité.”
Renversant pour un premier tour de piste, n’est-ce pas ? Et quel premier tour de piste, tenez-vous bien ! Soudain un véritable ballet pyrotechnique de cent huit courants d’air annonça l’avènement. Puis vint le cri de foudre unique :
“Ecce homo ! Venez voir, venez vite de vos yeux voir le revenant descendre sur la terre !”
Les tambours brillèrent d’une étrange lumière et se mirent à chanter :
“Je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois l’étoile du Tétralogue. Je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois, je vois l’étoile du Tétralogue.”
Un seul pharaon nubien sur le trône vacant, Sa Gracieuse Majesté Vaval aux pieds crochus, le Dandy ascète à la peau fine et à la barbe hirsute, Solange, alias Eternel XXIX ! Un seul chef d’orchestre sur l’estrade, c’était the one and only, mister Eternel et son big band ! Un seul guérisseur à bord avec sa boîte d’onguents, son pilon, son mortier et ses colifichets en pagaille, docteur Eternel ! Une seule sainte trinité, un seul robot des bois, sahib des sous-bois, des tréfonds des bois et des abois, j’ai nommé le seigneur Eternel en personne ! Pas un cyclone derviche tourneur à la retraite, pas un cyclone émérite honoris causa, pas un cyclone ancien combattu emmailloté de médailles militaires pour courage face à l’ennemi, non ! Ni même un Très-Saint-Père et Souverain Pontife pape de cyclone d’Avignon, de Pise ou de Vatican ! Non, non et non ! Quand je dis Eternel c’est Eternel ! Eternel XXIX, le cyclone fait homme, couvert de cendres, mort sur la croix, descendu sur la terre pour nous dérailler. Ne vous en déplaise, c’est en grand mâle solitaire de pure race métisse, titan frais émoulu du vide, en croisé soixante-douze fois mort et métamorphosé arrivé dans la force de l’âge bien que tout juste tombé du nid que, fortissimo et en pleine possession de ses moyens, l’olibrius vint réclamer sa pitance, son repas de sang à nul autre pareil.
“Cyclone, tu régneras ! Chaos, tu nous sauveras !”
Bardé de son caparaçon de vent et de ses aiguillons de pluie, Saint Fiel, le successeur de Saint-Pierre, divin guerrier vêtu de son habit de lumière au blason d’or à un rinceau de sinople et au chef de gueules semé de jaguars de sable sans nombre, déboula toutes babines, glosses, haches et sagaies dehors à trois cents noeuds en ce mémorable crépuscule de septembre. Il commença alors tel un inlassable maraudeur de l’absolu à se frayer, agacé, un chemin dans la fête vent devant, à coups de grain d’orge et de gradine, sans prendre ne serait-ce que le temps de descendre à l’hôtel pour ôter son cimier, se reposer les ailes, se dégourdir les pattes, se rafraîchir et prendre la température des lieux, vérifier si l’eau de mer dépassait bien les 28° sur cinquante mètres de profondeur. On aurait dit un pique-assiette, une hirondelle catabatique toute de rouge et blanc de shantung vêtue, arrivant à une garden-party exhibant comme unique carton d’invitation son écu infrarouge arborant la devise : “Ma racine est au fond du rhum. Bois et tu vivras.”
Mes amis, en vérité je vous le dis : tous aux abris ! Car quand un bourreau de cette espèce commence à donner son coup de crayon dans le labyrinthe ébaubi, à darder le ciel de ses coups de fronde, de balistes et de catapultes, qui peut dire où et quand et comment il va apposer son paraphe ?
“Redonne la vaillance
Au pauvre et au malheureux ;
C’est toi, notre espérance,
Qui nous mèneras vers Mieux.”
Et par décret de la bête cosmopolite, fantôme bien ferme, lisse et sans tache élu du plus profond de vingt mille escarmouches, ce fut l’hallali des hallalis, une dégringolade de déluges, un seul enchevêtrement de charivaris, un concerto baroque en ut majeur de tessons de pluie en transe dans un maelström indescriptible de tôles en plumes et de mangues en sang. Afin de mieux répandre la bonne parole, trente-six virtuoses triés sur le volet entre les trois cent soixante-six espèces de moustiques, jaguars, crabes, abeilles, criquets et requins inventoriés de par le monde par le NHC4 sortirent de leur conclave et avant même qu'une fumée blanche n'apparaisse du haut de la cheminée de la Chapelle Sixtine furent lâchés dans les reins de l’île qu’ils taquinèrent, lutinèrent jusqu’à ce qu’elle se résigne à crier les mille noms du dieu Hurakhan. Jamais de mémoire d’île on n’avait entendu une si belle litanie :
“Moustique-scie, Espérance des Désespérés, Consolation des Affligés,
Prends pitié de nous
Jaguar-à-mains-longues, Arche du Salut, Langue des Muets,
Prends pitié de nous
Abeille-marteau, Guide des Voyageurs, Ouïe des Sourds
Prends pitié de nous
Crabe-pèlerin, Secours des Enfants, Bouclier des Vierges,
Prends pitié de nous
Criquet-à-pointe-noire, Refuge des Pécheurs, Lumière des Aveugles
Prends pitié de nous Abeille-taureau, Port des Navigateurs, Soutien des Veuves,
Prends pitié de nous
Moustique-peau-bleue, Libération des Captifs, Dextrae Dei tu digitus,
Prends pitié de nous
Jaguar-de-sable, Santé des Malades, Fons vivus, ignis, caritas,
Prends pitié de nous
Abeille-baleine, Si Cher aux Pèlerins, Tu, septiformis munere,
Prends pitié de nous
Crabe-lézard, Miraculeux en Tes Saintes Images, Et spiritalis unctio,
Prends pitié de nous
Criquet-mako, Gloire des Criquets, Veni, Creator Spiritus,
Libera nos a malo
Moustique-renard, Au Charme Irrésistible, Qui diceris Paraclitus,
Libera nos a malo
Jaguar-citron, Doux Espoir des Mères, Donum Dei altissimi,
Libera nos a malo
Abeille-dormeuse, Notre Secours maintenant et à l’heure de notre Mort,
Libera nos a malo
Crabe-carpette, Réconfort des Ames,
Libera nos a malo
Criquet-tigre, Saint parmi les Saints, Qui es in caelis,
Libera nos a malo
Moustique-nourrice, Bon Samaritain,
Libera nos a malo
Jaguar-cornu, Bon Larron d’Entre les Larrons,
Libera nos a malo
Abeille-grand-crabe-blanc, Tu rite promissum Patris,
Libera nos a malo
Criquet-soyeux, Deo Optimo Maximo,
Libera nos a malo
Saint Moustique-bouledogue,
De grâce, écoute-nous
Saint Jaguar-roussette,
De grâce, exauce-nous
Sainte Abeille-perlon,
De grâce, écoute-nous
Saint Crabe-chien-bleu,
De grâce, exauce-nous
Saint Criquet-léopard,
De grâce, écoute-nous
Saint Moustique-bouclé,
De grâce, exauce-nous.”
Tout entomologue qui se respecte sait que chez le moustique quelle que soit la variété, l’espèce, l’ordre ou le sous-ordre, la famille ou le genre, seule la femelle est buveuse de sang invétérée. Mais une nouvelle race de mâle carnassier était née : le cavalier de l'Apocalypse, j'ai nommé Sa Majesté, l'Honorable moustique-jaguar-abeille-crabe-criquet-requin, maudit et fui comme la peste de temps immémoriaux alors même qu'il n'avait pas encore atteint l'âge de la puberté et qu'on le dénommait déjà Trente-Six-Pieds-Gris ! Et ces douze saintes trinités de squales instrumentistes, mi-mâles, mi-femelles, au lieu d’aller butiner comme de coutume le nectar des fleurs d'oranger, s’étaient mis en tête d’inoculer leurs dièses de venin étourdissant à qui mieux mieux. Il y eut même des applaudissements ! De maigres applaudissements, s’entend, pour donner le change de la part de l’île en débâcle. Mais ces concertistes d’un nouveau genre gardaient leurs pieds gris sur terre, n’ignorant pas qu’une fois leurs ailerons tournés ce qu’on entendrait après “Victoire, tu régneras ! Ô Croix, tu nous sauveras !” serait : “Un bon cavalier de l'apocalypse c’est un cavalier de l'apocalypse mort et incinéré sans fleurs ni couronnes.” Alors en attendant l’heure fatidique du retour de bâton, le début de la curée, les indésirables s’en donnaient à coeur joie. Tels des cinglés évadés d’un asile mental, les escogriffes déchiquetaient sans protocole les rémiges de l’île, disséquaient la rivière Sens et ses eaux sacrées comme un banc ivre de piranhas, la sarclaient sans ménagement, la sillonnaient en spirales tournoyantes, l’écalaient, la décalaient, la démâtaient un bon petit brin, la détroussaient à la fourche des chemins, la corrigeaient comme une malpropre, la charriaient pour enfin l’amarrer sans épissure à la mangrove. Commença alors la colonisation, l’errance de griffes, de barbes de chats et queues de juments, la glissade dans l’apesanteur de vent et de pluie, de fracas et de flammes. Eternel XXIX traça de sa double faux à trente-neuf lames aiguisées un arc-en-ciel de fagots de bois sec et d’eau fraîche aux pieds de Mademoiselle K amarrée à un totem vicieux dressé dans une niche de fourmis rouges. Ni le lait des femmes qui donnaient à téter, ni le venin des soles de Moïse n’aurait pu servir d’antidote à tant de piqûres dans les yeux de la gazelle sommée d’avouer aux quatre vents le point cardinal où s’était baugé le nombril d’orchidée aux ailes déployées dont elle tendait le labelle.
“Rassemble tous nos frères
A l’ombre de tes grands bras.
Par toi, Dieu notre Père
Au Ciel nous accueillera.”
Bien au contraire, loin de reculer, le grand timbalier polyforme lui éplucha les fesses à coups de badines de tamarin des Indes et de prune de Cythère qui rebondissaient gentiment comme des ressorts dans un corso fleuri, lui pluma les ailes comme un ortolan, la pela comme un lapin, lui laboura le dos de douairière comme un champ de patates à coups de branches de café, filandreuses comme de la viande de cheval, comme des morceaux de canne à sucre, avec des noeuds partout, partout.
“A moi, à l’assassin ! On m’immole !”
Chaque noeud qui pétait dévorait de sa faim canine un morceau de morne, retranchait un lambeau de peau à l’île aux Zoulous. Même saint Donat Culicidé, martyr, l’esprit renégat de la mangrove, le seul qui, malgré ses oreilles coupées, sa fleur de lys étampée sur l’épaule et ses jarrets estropiés, eût pu donner la réplique à l’ostrogoth polyglotte, lui dire sans que cela fût pris pour du badinage :
“Au nom de la foi, halte là, vieux macaque-singe volant, Habemos papa, moustique, requiem, demi-tour droite, déposez armes !”
le seul rebelle qui eût pu prendre au collet, puis ligoter le multiple pacha major au bûcher, faire sentir à cet impudent le bon goût âcre de son tison, lui montrer de quel bois marron on se chauffe sous la fournaise, avant de le cisailler de son cantique comme un diamant fait chanter le verre et ce jusqu’au rassasiement, eh bien, vous dis-je, même saint Donat, martyr, le maître-chaman en amulettes et déroutage de tempêtes picrocholines, Dieu de Miséricorde, s’égosillait à l’agonie, en perdition, fessé, absous, ballotté comme une coque de noix de coco, astiqué, béni par la technique de danse de l’esprit qui multipliait ses chorus de coups de talons, de pas sautés, piqués et chassés, ses sauts ballonnés, ses déboulés et ses fouettés. La planète était semble-t-il devenue sa paroisse ! Ce bain royal primordial allait-il durer cent quatre jours ? Il tenta bien de faire montre d’une belle résistance par deux sauts chaloupés, trois crocs en jambe retournés, quatre queues-de-raie, cinq bouches-de-crabe, six demi-lunes, sept bananiers, huit chandelles noeud coulant, neuf coups de serpe et pour parachever sa mission et cetera sauts de la mort ! Ce fut en vain. Le saltimbanque, magnifique alezan, se montrait maître du jeu d’esquive et de damier et même la pluie suspendit un instant sa voltige pour regarder presque religieusement les acrobates, nus couverts de cendres, en plein vol, brandissant tour à tour épées, tridents et crosses. Bientôt c’est contraint et forcé que saint Donat dut déclarer forfait sous l’éteignoir, tel un infirme asphyxié et impuissant, les yeux en éventail ne pouvant que constater les dégâts à l’intérieur des palétuviers enchevêtrés comme pour un jeu de mikado. Pilonné sans relâche, chassé par la vermine comme un pestiféré de son port d’attache, il dut lui aussi rentrer dans le rang et entonner le refrain . (On aurait eu le tournis à moins).
“Cyclone, tu régneras ! Chaos, tu nous sauveras !”
Une courte entracte et c’est avec un bel appétit que le beau parleur reprit sa logorrhée. Amis de la vérité, ai-je besoin de vous dire que la dictature du vent s’installa dans le pays et que, loin d’assouplir sa position, le président auto-proclamé de la République Démocratique d’Hurakhan se mit en devoir de boire le calice jusqu’à la lie, maniant la calotte et le bâton, le sabre, la pince et la machette avec la dextérité d’un acrobate qui peut prendre trente-neuf formes différentes de désastre ? Quels coups de liane, la compagnie, qui s'incrustaient tels les triples fouets bardés de plomb dans les chairs! Des coups de boutoir incroyablement terribles ! Que dis-je ? De bons coups de dard négligents mais redoutables auxquels l’île pouilleuse, maltraitée, usée jusqu’à la trame, dépouillée de ses magma et corail à la dérive, aurait mille fois préféré les piqûres des mouches à café, les attaques conjuguées au participe présent et passé des papillons à quatre yeux, des perroquets rayés, des demoiselles à queue jaune et des crevettes musiciennes ! Non seulement c’était la fête au cyclone mais c’était mardi-gras en plein mois de juin ! Un seul carnaval de venin de vipères des sables et de vipères fer-de-lance cent pour cent pur vesou, des cendres et des scories en veux-tu, en voilà pleuvant dur sur une île chevauchée décornée du sol au plafond qui n’était plus désormais qu’un seul coupe-gorge, un seul parc à poulpes qui grelottait dans ses chiures kocho koto kocho koto. “Arrêtez grêle et tonnerre !”, répondait l'île aux Zoulous en choeur, rincée, lessivée, dépecée, éviscérée mais toujours, bien qu'endeuillée, bouche bée devant les improvisations de l’autodidacte de génie qui sonnait son olifant, exigeant qu’on lui prête fidélité sans faille. Aucun postulant ne se présentant pour être intronisé dans la commanderie du souffle et être sacré qui chevalier, qui chambellan, qui procureur, qui grand-chancelier, bouchonnier, sénéchal ou grand-maître, il ne restait qu’à prendre son mal en patience, gérer l’ingérable, laisser s'échapper son précieux nectar ! Ne pas crier, ne pas bougonner, ne pas s’arc-bouter : tels étaient les trois commandements. Il fallait esquiver la ribambelle de coups de crochets qui vous esquintaient, déchiraient vos os en mille morceaux, tout en feignant d’être touché par le vrombissement de la grâce à l’heure du trépas. Faire le dos rond, encaisser le choc, ne pas narguer, ni sous-estimer l’Apache, surtout baisser les yeux à l’heure où parlent les grandes personnes ! Du respect pour la tiare du grand Zéphyr qui fait ripaille. Brandy por favor et hareng saur, piments, maïs grillé et bananes rôties à volonté à la santé du fauve dont les couleurs du blason évoluaient entre le noir, le blanc et le violet ! Car maître cyclone, le mérenguerrier du chaos, dans sa houle perché au coeur tantôt des cinquantièmes hurlants tantôt des quarantièmes rugissants, même s’il n’avait rien encore physiquement d’un gâteux mal léché, était en son for intérieur de ces vieux beaux, invisibles et gâtés, de ces patriarches bedonnants et libidineux, sourds et aveugles, rassis plus que rassis, ratatinés sur leurs relax de mahogany, faisant les yeux doux à des embryons imprenables. On se devait de pactiser, accepter de payer le principal avec intérêts et correction monétaire, sans jamais, au grand jamais, contrarier ces messieurs à mauvais escient. Car dans ce cas ils vous ferraillaient sans pitié, vous roulaient cul par-dessus tête et vous suçaient, tout en vous cajolant à rebrousse-poil, la moelle des cheveux. Instantanément leur tignasse d’albâtre comme du sable de bord de mer s’en trouvait par voie de conséquences requinquée et recouvrait splendeur, verdeur et chatoiement dignes de leur rang ! Ce fléau d'Eternel XXIX avec tout son gabarit, son geste, sa prestance et son panache allait-il abdiquer devant son île aux Zoulous et son ambassadrice de charme plénipotentiaire (j’ai nommé ici Son Excellence Madame Artémia Guimbo, notre Mademoiselle la Chevalière), faire serment d’allégeance, desserrer l’étau redoutable, baisser pavillon, bref débander à l’orée du bois joli sans laisser mijoter encore un peu les pleins et les déliés de sa signature biliaire sur chaque microsillon, sur chaque carnet de bal, chaque parquet de sciure, chaque talon haut, chaque éventail or whatever it is ? Ma foi, non, merci infiniment ! La musique était trop belle, vraiment !
“Da capo, maestro !” ronronna His Airness, ce vieil amant, le potentat, de son plus fier miaulement de moustique métissé de jaguar rouge, d'abeille, de crabe-renard à râble noir et de criquet enroulant de plus belle ses tiges de figuier sauvage autour de l’île miraculée qu’il étreignit comme un vulgaire tuteur de bois mort.
Mais quelle étreinte, mes amis ! Quelle étreinte ! Maman, maman, maman, maman, maman ! "Le roi te touche, Dieu te guérit" dit l'adage. L'île qui n'était plus que suppurations et défigurations implora que l'Eternel ait pitié d'elle ! Et dans un ultime sursaut d'orgueil puisé du fin fond des tréfonds envoya valdinguer pain des pauvres et Extrême-Onction qu'on s'apprêtait à lui administrer à son corps défendant, réclamant son droit à l'ointe sacrée, au toucher royal des écrouelles.
"Mort où est ton aiguillon ?", fit-elle encore tandis qu'elle buvait calmement sa énième rasade de rhum-piment ! "Embrasse-moi, tonnerre !" mais le maître danseur de banda, ce mal élevé, ce grivois, ce macabre, cet excommunié, ce profanateur, ce dictateur, ce prétendant à vie élu par un million trois cent mille voix et aucun vote contre, ce souffle lubrique mâchonnait consciencieusement son porte-cigarette. Elle vit encore un instant sa canne de bois de fer tournoyer comme dans un film au ralenti puis sombra dans la transe.
"Mort où est ton aiguillon ?", fit-elle encore tandis qu'elle buvait calmement sa énième rasade de rhum-piment ! "Embrasse-moi, tonnerre !" mais le maître danseur de banda, ce mal élevé, ce grivois, ce macabre, cet excommunié, ce profanateur, ce dictateur, ce prétendant à vie élu par un million trois cent mille voix et aucun vote contre, ce souffle lubrique mâchonnait consciencieusement son porte-cigarette. Elle vit encore un instant sa canne de bois de fer tournoyer comme dans un film au ralenti puis sombra dans la transe.