Le Bal d'Entre-Deux-Morts ou Les Très Riches Heures de Victor-Solange Eternel, dit Chevalier Cyclone
L'archipel des Iles-Unies des Reliques est situé au large de Macondo et du Grand Marécage de Wolfork dans la Mer d'Entre-Deux-Morts. En dépit du chemin de croix permanent qui s'y déroule entre racines et rhizomes, Artémia Guimbo, marchande de simples de son état, et Victor-Solange Eternel, dit Chevalier Cyclone s'affrontent et se rejoignent dans un bal étrange sous la protection de saint Antoine-des-Divins-Plaisirs.
Le mouvement se situe sur un arc tendu entre deux morts.
Movement is situated on a tended arc between two deaths.(Le mouvement se situe sur un arc tendu entre deux morts.) Doris Humphrey
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29.4.06
L'île aux Masques
L'île aux Masques est l'île la plus proche de l'île de l'En-Dehors et sa capitale Station Wolfork. Elle est placée sous la protection de saint Guy. Elle s'est longtemps appelée l'île Maria Dolorès et c'est souvent sous le nom de Maria Dolorès (parfois même sous le surnom de Dô) qu'on y fait encore référence. Elle a depuis des lustres la particularité d'être la seule à pouvoir organiser la fameuse promenade des Masques sur ses terres. Ses habitants portent masque toute l'année et tirent même une certaine vanité de cette licence : pendant que d'autres s'égosillent à visage découvert dans la débauche, la luxure, la boue, la fiente, les déhanchements, la bière à flots, les odeurs de viande grillée, pendant qu'ils se grisent et se dégrisent tels des papillons fous en rut, les habitants de l'Ile aux Masques promènent leurs masques et déguisements dans l'affluence et l'impunité la plus totale du 1er janvier au 31 décembre ! Le port de masques et de déguisements est déclaré inconstitutionnel sur l'archipel depuis des lustres selon un arrêté gouvernemental instauré à la fin du 19ème siècle par le président César Gandaia, arrière-grand-père du président actuel, qui était lui-même natif de l'île Maria Dolorès.
- A nous les masques et déguisements, aurait déclaré ce tribun hors pair lors d'une séance mémorable au Parlement des Reliques, à d'autres les corridas, corsos fleuris et autres charivaris!"
Voici l'intégralité de cet arrêté qui devait faire polémique longtemps sur l'île mais qui ne fut jamais abrogé:
"
Arrêté du Président
Cabinet du Président
De par M. Le Président
MM. le Vice-Président
Ordonnance de Police
Du 31 janvier 1890
Sur ce qui a été représenté au Président de la République par un grand nombre de districts, et notamment par ceux de Lundi-Gras, Mardi-Gras, Mercredi-des-Cendres, Jeudi-Gras, Vendredi-Gras, Samedi-Gras, Dimanche-Gras, de Maria Dolorès, de Kalakata, de Matylis, des Souris Vertes, de Matamore, de Guêpes dans l'étendue desquelles les masques se portent ordinairement avec affluence, et par MM. de l'état-major, qu'il serait prudent d'interdire désormais toute espèce de déguisement et de mascarade; et sur le renvoi fait par le Président au Département de la Police, ce Département a vu avec plaisir que cette précaution, dont la nécessité n'avait point échappé à sa surveillance, avait d'avance obtenu l'approbation d'une portion nombreuse des citoyens de l'Archipel; il a pensé que ceux qui ne s'étaient pas expliqué à ce sujet, en partageant la même opinion, avaient cru pouvoir s'en reposer sur le zèle des administrateurs honorés de la confiance de la Nation.
En conséquence, vu les conclusions de M. le procureur, il a été arrêté et réglé ce qui suit :
Article 1er.
Il est expressément défendu à tous particuliers de se déguiser, travestir ou masquer, de quelque nature que ce soit, à peine, contre ceux qui seraient rencontrés dans les rues, places ou jardins publics, d'être arrêtés, démasqués sur-le-champ et conduits au plus prochain district, où il sera dressé un procès-verbal, dont l'extrait sera envoyé au district du domicile, et de 100 Tafias d'amende contre les citoyens domiciliés ou de prison pour ceux qui ne le seraient pas, avec confiscation de tous vêtements servant à déguisement.
Article 2.
Il est pareillement défendu de donner aucun bal masqué, public ou particulier, à peine de prison contre ceux qui, tenant un bal public, y auraient reçu des personnes masquées, déguisées ou travesties, et de 10 Tafias d'amende contre ceux qui, dans les bals particuliers, recevraient des masques, et de la même amende contre toutes personnes qui s'y trouveraient déguisées avec confiscation des habits servant au déguisement.
Article 3.
Il est fait défense à tous marchands d'étaler, louer ou vendre aucuns masques ou habits de déguisement, à peine de 10 Tafias d'amende pour chaque contravention et de saisie et confiscation de toutes les marchandises de ce genre; ainsi qu'à tous musiciens, ménetriers ou joueurs d'instruments de prêter leur ministère, à peine de prison, s'ils ne sont pas domiciliés, et de 53 Tafias d'amende s'ils le sont.
Article 4.
Par dérogation aux articles précédents, en vertu d'une tradition locale et ininterrompue le district de l'Ile Maria Dolorès prendra désormais l'appellation de l'Ile aux Masques et pourra conserver la tradition de la Promenade des Masques pendant toute la durée des festivités carnavalesques et notamment les dimanches après midi et les jours gras, lundi, mardi, mercredi.
Les districts de Lundi-Gras, Mardi-Gras, Mercredi-des-Cendres, Jeudi-Gras, Vendredi-Gras, Samedi-Gras, Dimanche-Gras, de Kalakata, de Matylis, des Souris Vertes, de Matamore devront substituer à leur mascarades et déguisements des corsos fleuris, corridas et autres charivaris.
Le Président invite les comités de district et MM. de l'état-major de tenir la main à l'exécution de la présente ordonnance, laquelle sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera et envoyée à tous les districts.
Signé :
GANDAIA, Président;
MOMON,
Vice Président;
FOLIA, BRINQUE, VAVAL,
Ministres ;
BOULEMER DE LA GAUDRIOLE,
procureur de l'Archipel. "
La mascarade pourtant limitée du dimanche au mercredi des Cendres (à carème prenant)par décret n'eut de cesse d'enfler. On y accola dès la première année le jeudi gras. Puis vint l'année suivante le Premier Dimanche du Carême, puis d'année en année on continua à grignoter. Bientôt on faisait carnaval de l'Epiphanie à la Mi-Carème. Quelques années passèrent et on se retrouva avec un carnaval allant du 11 novembre jour de la Saint Martin au mois d'août à la Saint Stéphane. Puis un jour les habitants de l'Ile aux Masques décidèrent, sans que personne n'y retrouve à redire, que même lors des fêtes religieuses le port du masque était autorisé et que l'on pouvait même se rendre dans l'église pour y prier Dieu en portant masque et travestissement sans y craindre l'excommunication. Le coup de grâce fut l'autorisation par le Président aux masques de pouvoir porter armes et bâtons en tous lieux et toutes circonstances. La grande illusion du carnaval s'installa ainsi de façon perpétuelle.
Les autres îles bien que se sentant lésées, n'osèrent pas aller à l'encontre des desiderata du Président mais en privé ils considéraient l'île aux Masques comme le paroxysme du dévergondage, une irrégularité chromosomique, une difformité insupportable indigne de l'archipel des Reliques, un Sodome et Gomorrhe propre à contaminer les autres îles si on n'y prenait gare. Aussi le Président de l'archipel, César Gandaia, plus connu sous le sobriquet de Zè Gandaia, dut-il user de toute son ingéniosité, de toute son entrejambe pour permettre que subsiste cette excroissance qui paraissait comme un anachronisme dans le paysage enfin purifié du carnaval.
Ce fin politique, roublard et danseur de premier ordre, ordonnateur en chef du Mardi-Gras, toujours bien mis de sa personne, qui devait rester célibataire jusqu'à son dernier souffle, ce Zè Gandaia se rendit donc en délégation avec le vice président, Leroy Momon, les ministres et le Procureur, Georges Vaval, lesquels se firent un devoir de rencontrer tous les membres de comités de district de l'archipel. La délégation promit monts et merveilles à tous et insista pour l'abolition de la mascarade et des déguisements qui étaient devenus incontrôlables et qui menaçaient la sécurité de l'archipel.