6.4.09

Le songe de Cyclone


Parfois dans sa semi-retraite, à la saison des pluies, entre juin et juillet, le temps d'une petite digestion avant la saison du Grand Cisaillage, bien calé au fond de son hamac entre les racines en arc des palétuviers, Cyclone Vingt-neuvième du nom méditait. A ces heures intimes, la seule chose qu'il souhaitait c'était se faire gratter le dos par une âme charitable mais dans ces marais d'outre-tombe personne ne s'aventurait à sortir le bout du rostre ou l'ombre de l'aiguillon de ces terriers profonds, de dessous les feuilles ou du fond du limon... Alors il se curait inlassablement les dents fouillant les interstices et suçant la moindre déchet de chair et le ré-ingurgitant avec délectation. Cyclone méditait, donc. Il plongeait ses yeux à l'horizon impalpable et attendait ...attendait... attendait...attendait...attendait...
Et alors la vision arrivait....Toujours la même...Implacable...Précise, détaillée, scientifiquement vraie...C'était son ombre, son jumeau, sa copie conforme, Commandant Cafre, le natif de Caféière, qui le taquinait, toujours à l'heure de la sempiternelle sieste.. C'était toujours quand il naviguait entre les deux eaux du fleuve sommeil que le malpropre réapparaissait en grande pompe... Parfois on le voyait accompagné de la dernière de ses concubines. parfois c'est nu au garde à vous qu'il se présentait et c'est dans l'une de ces apparitions qu'il put voir ainsi que le pauvre bougre n'était même pas pas circoncis. Son double, son ombre, son autre, même pas circoncis. Mais loin d'en tirer fierté Cyclone s'en inquiéta. S'il n'était pas circoncis, c'est qu'il n'était pas initié et alors il ne connaissait pas les règles du savoir-vivre assurément. C'était toujours la même vision: tout l'ordre des Ombres réuni sans étiquette dans des flacons d'alcool ou de formol dans la collection particulière d'un certain docteur Isis. Toute l'ordre des Ombres impeccablement réuni, répertorié, disséqué en sous-ordres, divisions, super-familles, familles, genres, espèces, sous-espèces. Ce n'étaient que carapaces rouge violacé, jaune grisâtre, fauve, brun clair, rostres, cuillerons, pattes et antennes du côté de la branche cancérienne de son aïeul Chacha Zéphir premier du nom, fils de Gaiamun, connu pour la finesse et la bonté de son goût, grand amateur, fin gastronome amateur de bon maïs, patates douces, fruits et autres substances végétales, mais particulièrement friand de canne à sucre. Quant à son côté maternel, ce n'était que Mégachilides, apoïdes, aculéates, apocrites hyménoptères, à la glosse bien développée, une pièce buccale du style broyeur-lécheur, captifs dans leurs bocaux remplis à déborder de cire. Il voyait même nettement un petit écriteau signé du bon docteur Isis qui disait : il n'existe plus au monde d'ombre découpeuse, ces ombres à langue longue sont les uniques spécimens d'ombres découpeuses au monde.