18.5.11

Le confessionnal bis

Il est de notoriété publique que sur la place des 14 il y a deux confessionnaux. Celui de l'église tout en rococo, un trois places en bois où, sous le sceau de la confession, le desservant du culte, le père Gaëtan y exerce le ministère de la réconciliation de façon héroïque et féconde, absout et dissout les péchés, procurant miséricorde, conseil et réconfort pŕesque dix-sept heures par jour selon les dires de la gouvernante du curé, qui du fond de son presbytère clame à qui veut l'entendre:
'Le père Gaëtan, c'est un saint, comme le bon curé d'Ars. Le confessionnal c'est sa maison.
Que Dieu vous pardonne ! C'est ainsi qu'il termine sa confession tout en sachant très bien qu'on va pécher encore et encore et il pardonne l'avenir par anticipation."
En pénitence poursuit-il, vous me direz deux Pater Noster puis vous laverez l'âme qui a servi à votre péché dans l'eau bénite de l'un des deux bénitiers situé de chaque côté de l'entrée.
Mais pour que l'absolution soit complète, pour que l'acte de contrition soit sincère il enjoint chaque pécheur à planter sept noyaux de jacque ou sept pépins de grenade qui après avoir été immergés dans l'eau bénite vont redonner à Kalakata des couleurs devant l'Eternel.
L'autre confessionnal c'est "Chez Boniface", siège de la Société des Ivrognes Patentés. C'est la chapelle que d'autres pénitents choisissent pour faire leur examen de conscience et leur acte de contrition. La tradition est même de veiller son cerceuil toute la nuit dans ce confessionnal jusqu'à ce que résonnent les matines et les laudes.
Sur le comptoir trônent deux cloches, répliques miniatures des deux cloches de l'église. Hermine, cloche de 614 kilos, qui sonne le fa, et Joséphine, cloche de 319 kilos, donnant le la et sur lesquelles sont inscrits le nom de l'évèque de Station Wolfork, le nom du curé de Kalakata, le nom du parrain et celui de la marraine sont remplacées par Théodore et Théodule, deux clochettes qui portent l'inscription suivante: "Je suis éternelle puisque fraternelle et toujours à Kalakata pour Saint-Antoine-des-Plaisirs-Divins je sonnerai". Et d'ailleurs à une certaine époque quand l'église menaçait ruine et qu'il y avait certains désagréments à prononcer la messe les jours de pluie c'est de ce confessionnal bis qu'on tira les ressources nécessaires. Mais néanmoins quand monseigneur l'Evèque se rend à Kalakata pour la Grand-Messe de Requiem pour le repos des âmes des cerceuils, l'établissement, tout confessionnal bis qu'il soit, baisse le rideau le temps de la Grand-Messe de Requiem jusqu'à la deuxième absoute au cimetière. Car de même qu'à l'église la règle est que dans ce temps de pénitence et d'affliction qu'est la Grande-Messe de Requiem on ne tolérerait en aucun cas un morceau d'orgue, ni en accompagnement ni en solo, les clients, tout maître suceurs de canne qu'ils soient, ont aussi leurs codes et leurs lois et parmi ceux-ci il y avait: Entre l'église et le cimetière nous sommes tous sur le même canot. La procession des cercueils c'est l'occasion de se refaire à peu de frais peau neuve et accessoirement âme neuve. Un espace captif leur est ainsi réservé, le jour de la procession des cercueils, sur la dernière travée de l'église, car c'est au sein de la Lyre de la Société des Ivrognes Patentés qu'ils prêtent hommage aux âmes des défunts et qu'ils assistent comme tout un chacun à la grand-messe de Requiem. Comme tout un chacun ils fredonnent les 19 versets de "Dies Irae" chanté par le choeur, prononcent leur "Dona eis requiem" et leur "Eis requiem sempiternam" à l'unisson. Au chant du propre de l'Offertoire on les voit entonner a capella "Ego sum" avec le cantique "Benedictus" et les versets qui suivent. A la fin de la messe le célébrant s'en va à la banquette, défait sa chasuble et endosse la chape avant de s'approcher du catafalque pour donner la première absoute. Après la prière de Monseigneur, le "Non Intres", le choeur entonne le répons "Libera me Domine" et les versets qui suivent. Quand finalement les corps sortent de l'église pleine à craquer et que le choeur commence à chanter l'antiphone "In Paradisium", les deux confessionaux et leurs pénitents se retrouvent pêle-mêle tous unis dans un même élan portés par le choeur qui accompagne la procession au cimetière pour la seconde absoute. Aprés une dernière aspersion, vient l'encensement et chacun vaque à ses occupations conscient du devoir accompli. Et les Ivrognes Patentés peuvent rejoindre leur confessional bis.