5.7.06

L'île aux Papayes


L'ile aux Papayes fut jadis le paradis des cauris ! Ils étaient à une certaine époque bien une dizaine de devins à y pratiquer la caurologie (la lecture du passé et du futur à travers des cauris) dans le plus grand désintéressement financier.
La divination par les cauris faisait l'objet d'un apprentissage qui pouvait durer toute une vie. Il ne s'agissait pas seulement de déchiffrer les signes mais il fallait en maitriser la portée magique.
Et pour cela seule l'initiation par un chaman est obligatoire !
Lorsqu'un devin recevait la visite d'un consultant, il jetait ses cauris (à partir de 12 ) à plusieurs reprises en y joignant des petites pièces appelées "ibo" (il s'agissait d'un petit cauri appelé "ayé", d'une boule de coquille d'oeuf moulue appelée "efun", d'une petite tête de poupée appelée "aguona", d'une graine de guacalote appelée "ewe ayo", d'un petit caillou noir dit "ota" et d'une petite vertèbre ou osselet appelée "egungun") et déchiffrait les figures composées par les cauris comme l'on déchiffre un alphabet.
Les positions des cauris sont ouvertes ou fermées selon que le cauri se trouve "sur le dos" ou sur le ventre. Le dos est la partie bombée et le ventre, la partie naturellement ouverte. En réalité, le cauri n'est jamais vraiment "sur le dos" car ce dos a été découpé. Ce découpage est une des étapes permettant au cauri de devenir actif. Selon les positions des cauris, le devin observera des symboles de la fécondité, de la santé ou de la maladie, du bonheur ou du malheur, des rencontres ou des séparations concernant le consultant ou ses proches. Le cauri en tant qu'intermédiaire du monde des morts donne accès à un univers intemporel dans lequel présent, futur et passé perdent toute consistance pour constituer une trame unie.
Sur 20 cauris, seuls 16 sont lancés ! A chaque lancement de cauris on compte le nombre de cauris qui tombent avec l'ouverture vers le haut pour un total de 256 combinaisons ! Seuls 13 cauris sont lus.
Chacune des combinaisons est un oddu (ou lettre) (une part d'explication de la connaissance du monde, qui pour 50 pour cent est féminine et pour 50 pour cent masculine, certains oddu étant positifs (on parle alors d'"irès") d'autres sont négatifs (on est alors en présence d'"osogbo") et porte en elle une association à un ou plusieurs patakis (paraboles, légendes à partir desquels le sacerdoce obtient des conclusions applicables à la question posée par la personne qui demande à consulter les cauris).
Des quatre coins de l'archipel on venait aux Papayes rendre visite aux devins accompagnés de leurs plateaux de divination Ifa à travers lesquels parlait Orula, l'oracle, le messager des dieux !
Puis vint une époque où les spécialistes de l'interprétation des cauris ne se comptèrent plus guère que sur les doigts d'une seule main. Le maître incontesté de la chose fut un certain Bob Dilogun qui selon la légende serait venu au monde avec une poignée d'herbes dans la main gauche et des cauris dans la main droite, et des ongles faits de cauris ce qui fit savoir à tous qu'il était de la matière première dont on fait les devins. Après que ce formidable jeteur de cauris y soit trépassé en pleine consultation de cauris, on eut affaire à une inflation de cauristes professionnels qui moyennant sacrifices et monnaie sonnante et trébuchante vous livraient jusqu'aux oddu 13 à 16 pourtant compétence exclusive des babalawo !

Il suffit d'une saison cyclonique calamiteuse : le jet de cauris tomba en désuétude faute de combattants et l'île aux Papayes fut bientôt déclarée maudite et en conséquence abandonnée à la gente animale ! C'est vrai qu'elle était déja réputée pour ces coquillages blancs, ces fameux cauris dont elle fut à une certaine époque la première exportatrice mondiale devançant même les Maldives et les Philippines, lieux où le gastéropode marin Cyprae moneta aimait à se reproduire! Mais on ne comptait plus les races de fourmis, moustiques, jackos, crabes, palourdes, lézards à colerette, fourmis vertes, tatous-boules, termites ailés, guêpes, mouches, cheval-bois, araignées, mygales, cabris, raccoons qui frayaient sur l'île. Et petit à petit par on ne sait quel enchantement on entendit parler de la présence de giraffes, kangourous, guépards, éléphants, hyènes tachetées, cobs de buffon, lépoards, chacals à flancs rayés, mangoustes, vautours pêcheurs, antilopes bongos, gorilles des montagnes, okapis et autres cacatoès sur l'île. L'île devenait une vraie arche de Noë giboyeuse, cible de chasseurs et braconniers qui parlaient d'une sorte de carnaval des animaux qui s'y tenait chaque année à la même époque.
On se mit alors à nommer l'île aux Cauris l'île aux Bêtes. Jusqu'à ce que le responsable de la Culture de l'archipel se mit en tête de la débaptiser et elle devint l'île aux Papayes, nom qu'elle porte encore de nos jours, bien qu'elle soit presque entièrement couverte de cactacées !