24.4.08

Sulamita Tapiramuta voulait toujours commander

Sulamita Tapiramuta voulait toujours commander...Elle régentait le monde à sa façon, accordant sa bénediction à l'un, maudissant l'autre tout cela avec cet éternel sourire de jeune fille effarouchée. Elle avait hérité de sa mère Maria de Lourdes le don insigne de voyager parmi les rêves, ce dont elle ne se privait d'ailleurs pas, puisque chaque matin à son réveil, elle n'avait pas moins de quatre à cinq douzaines de rêves à coucher sur le papier afin de pouvoir les analyser plus tard sereinement. Cette intense activité psychique nocturne avait malheureusement l'inconvénient de provoquer chez la demoiselle une intense migraine et il suffisait qu'apparaisse à ces moments lá un seul petit cafard de rien du tout pour que l'événement déclenche un charivari hystérique chez l'apprentie démiurge dont les cris de belette zébraient l'air comme des éclairs de démence.
À ces moments lá elle perdait toute prestance, toute convenance, toute fierté, toute raison et on aurait cru sa demeure envahie de douze mille cafards armés et cuirassés pour un combat de tranchées...
Il n'y avait pas un seul habitant de son quartier, pas un seul qui n'ait une anecdote à raconter sur Sulamita Tapiramuta et ses cafards, pas un seul qui n'ait eu un jour ou un autre à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit à lui prêter secours en toute urgence. Et elle même riait de ces histoires de folle à gorge déployée, une fois bien sûr la vermine écrasée, broyée, flytoxée et anihilée par un sauveteur providentiel goguenard..
Nul besoin de préciser que tous les jours elle pulvérisait les quatre coins de sa demeure d'une potion secrète censée éloigner les prédateurs mais il y avait toujours un indésirable plus acharné que les autres qui arrivait on ne sait comment à déjouer les mille et un pièges tendus par la demoiselle.
De tous les cancrelats celui qu'elle redoutait le plus c'était le grand cafard albinos volant. Ah celui-lá l'avait narguée des nuits et des nuits durant, onze nuits exactement, onze nuits où elle n'avait pas pu fermer ne serait-ce que la moitié de l'oeil, sur le pied de guerre qu'elle était, balai, filet à papillon, épuisette, tapette à mouches, serviette de toilette, bombes de produit mortel. Rien n'y fit, il passait par ici, il ressortissait par lá, le grand albinos volant, ayant même l'audace de plonger sous ses draps et de remonter nonchalamment le long de ses jambes longues, longues, longues à en donner le vertige, allant même jusqu'à faire frissonner ses antennes le long de sa toison alors que pendant un instant elle s'était de guerre lasse assoupie. On entendit, raconte-t-on jusqu'à aujourd'hui dans le voisinage, voler les draps par les fenêtres et on vit en plein clair de lune la belle décomposée prendre ses jambes à son cou comme poursuivie par douze essaims déchaînés de guêpes maçonnes, poussant ses traditionnels cris d'orfraie.
Après cet incident que je ne vous aviserais pas de narrer en sa présence, sauf à vouloir vous en faire une ennemie, Sulamita Tapiramuta résolut de tout savoir sur cet albinos volant qui ferait d'elle en une traînée de poudre la risée de l'île toute entière, son habitat, ses moeurs, son mode de reproduction, et décréta à qui voulait l'entendre qu'elle allait l'exterminer, le scélérat à ailes, lui et toute son oothèque. Eh oui Sulamita Tapiramuta voulait toujours commander !